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Or on a goûté assez vivement le duo d’amour du premier acte. Une chambre, la nuit ; une femme belle et tendre, un jeune homme à ses pieds ; c’est un spectacle qui plait assez ordinairement ; et quand la musique trouve le chemin de notre cœur, nous faisons peu d’attention aux paroles. Le second acte, tout en pantomime et en ferraillemens, nous a trouvés indifférens. L’acte suivant a été sauvé par l’épisode des comédiens, simple hors-d’œuvre, mais qui a diverti. En revanche, le quatrième acte a paru insupportable : c’est celui sur lequel l’auteur a porté tout son effort, où il a concentré ses vues historiques, ses intentions philosophiques, politiques, sociales ; c’est celui qui fit d’abord interdire la pièce et qui lui prêtait un air d’être audacieuse. Le dernier acte, en dépit de son luxe d’exhibitions macabres, se traîne, languit et nous laisse tout courbaturés. En d’autres termes, les parties d’élégie et de bouffonnerie ont émergé : le drame d’histoire et de passion a sombré.

De même certains rôles ont pris une importance imprévue et disproportionnée : ce sont les rôles comiques. On a fait fête au fou et même au « gracieux. » Un rôle a tiré à lui toutes les sympathies : celui de Saverny. Cela ne tient pas seulement à ce que Saverny est le type même du personnage sympathique : jeune et brave, spirituel, frivole, aimable et dédaigneux de la vie. Il y a une autre raison encore, et plus profonde. C’est que lui seul avait sa place dans une pièce du temps de Louis XIII. Lui seul exprime des sentimens qui ne forment pas avec l’époque où il les exprime un contraste trop violent. Lui seul ne nous jette pas le défi de l’anachronisme insolent. Lui seul n’a pas une mine à porter le diable en terre. Lui seul échappe à cette manie de solennité dont tous ses camarades de scène sont atteints. On lui sait gré de ne pas ressembler aux autres, — mais surtout à un autre.

Car entre tous les personnages de Marion de Lorme, il y en a un pour qui la représentation a été désastreuse. Vous ne doutez pas qu’il ne s’agisse de Didier. Le public a été pour lui sans pitié : il lui a manifesté, avec une espèce d’impatience, l’irritation qu’il éprouvait devant chacun de ses airs de tête, de ses roulemens d’yeux et de ses ronflemens de phrases ; il s’est livré à une exécution en règle : ç’a été l’écroulement, l’effondrement, la chute dans le ridicule, la fin d’une mystification. Le pauvre héros nous est apparu dans toute sa misère intellectuelle et morale. Ce qui nous a frappé surtout, c’est sa sottise. Didier, avant tout et par-dessus tout, est un imbécile. Il est l’imbécile dans toute la force du mot et la grandeur de la chose. Il est celui que sa bêtise monumentale prédestine à toutes les méprises