On a dû retrancher aussi du rôle d’Ulysse les deux strophes que voici :
- Rêvez sans vous plaindre, ô vous qui chantez,
- Car le rêve est long, mais la chose est brève,
- Et les faux trésors des réalités
- Ne méritent pas d’être regrettés
- Puisque la vie est un rêve.
- Chantez sans vous plaindre, ô vous qui rêvez,
- Et prenez de nous pitié plus qu’envie :
- Nous mourons d’amour quand vous en vivez,
- Et le vrai trésor c’est vous qui l’avez,
- Car le rêve est une vie.
A cela pour le coup, non seulement Circé, mais tout le monde risquait de ne pas entendre grand’chose, et, dans le genre antique, je ne vois d’analogue à cette aimable devinette, que les bouts-rimés, plus concis et non moins obscurs, de la Belle Hélène : « Toute chaîne a deux poids, toute peine en a trois. »
En passant à ’Opéra-Comique, et pour prendre le ton de la maison, un personnage, secondaire à la vérité, du récit homérique, s’est transformé bien autrement encore qu’Ulysse et que Circé. Vous souvenez-vous du jeune Elpénor ? « Guerrier qui n’était point vaillant à la guerre, et doué de peu de prudence, il s’était éloigné de ses amis dans les demeures sacrées de la déesse, et, désirant respirer la fraîcheur, il s’endormit, la tête appesantie par le vin ; dès qu’il entend le bruit et le tumulte de ses compagnons, il se réveille en sursaut, et dans le trouble de son esprit, au lieu de retourner pour prendre le chemin de l’escalier, il se précipite du toit ; par cette chute les vertèbres du cou sont rompues et son âme s’envole dans les demeures de Pluton. » De ce distrait, de ce poltron, de cet ivrogne, M. Haraucourt a fait le plus gentil des jeunes premiers chantans. Il aime Glycère, une suivante de Circé, et parce qu’il n’est point aimé d’elle (la petite ayant en secret plus de goût pour Ulysse), Elpénor, au moment du départ et plutôt que de partir lui-même, se jette du haut des rochers. Il expire dans les bras de Glycère enfin attendrie et l’on ne reprochera pas au poète l’invention ou l’addition de ce couple accessoire mais aimable, car la musique s’en est fort aimablement inspirée.
La musique de Circé, dans son ensemble, nous a laissé, nous laisse encore indécis, ou plutôt partagé. A l’entendre et à la réentendre, nous avons goûté peu de joie. Lue et relue, — la partition étant de celles, très rares aujourd’hui, qu’il n’est point impossible de