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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/455

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apparaît, lui parle et le rappelle. Il ressent le regret, oublié trop longtemps, de la couche nuptiale, et le désir de « retourner, à travers les flots et les dangers, vers l’ivresse d’Ithaque et les baisers de l’épouse, plus simple et plus humaine, bref, de retourner au foyer[1]. »

Troisième acte : dernières péripéties et dénouement ; encore des larmes et des baisers encore, du courage, puis de la faiblesse, enfin séparation à l’amiable, adieux, embarquement. Nous l’avons dit, le fond de cette histoire est homérique ; mais le poète moderne y a brodé quelques ornemens de sa façon : ornemens de psychologie et de style, qui ne conviennent pas toujours très bien à la simplicité, à la naïveté du récit et des personnages antiques. Ainsi M. Haraucourt a cru bon de donner à chacun de ses trois actes une épigraphe qui le définit. Le premier s’intitule : L’emprise de la chair. Le second représente : La chair et l’idée, et le Triomphe de l’idée sert d’« argument » au troisième. Or, il semble bien, sans parler de ce que ces dénominations, — la première surtout, — peuvent avoir d’ambitieux, ou de prétentieux, que « l’idée » ne soit pas ici un élément du drame. Le combat qui se livre au fond du cœur du héros n’y met aux prises que deux sentimens, inégaux sans doute en dignité, mais deux sentimens, deux passions, deux amours. Et puis, dans l’ordre sentimental même, Ulysse comme Circé, — je parle du couple homérique, — ne faisaient vraiment pas tant de façons. Ils se piquaient moins de philosophie et de subtile analyse. Rappelez-vous la facilité de leur rencontre, de leur liaison et de leur rupture. En jetant Ulysse et Circé dans l’incertitude et le trouble, dans le conflit moral où pourrait se débattre un couple amoureux d’aujourd’hui, M. Haraucourt a compliqué les caractères et vraiment, — au sens littéral, — il a « dénaturé » la légende.

Je ne sais plus vouloir sitôt que j’ai voulu ;
Est-ce que j’aime ce que j’aime ?


Nul ne reconnaîtra l’Ulysse d’Homère à cet état d’âme et moins encore au langage qui l’exprime.

Quant à cet alexandrin synthétique :


Ah ! la chair est trop faible et l’idée est trop forte !


on le supprime au théâtre, ainsi que les quatre strophes dont il fait partie. On a raison. Circé, qui devait chanter cette moralité finale, n’y eût rien compris et surtout rien retrouvé d’elle-même.

  1. Nietzsche.