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Le personnage d’Elpénor et celui de Glycère sont dessinés avec un peu trop de recherche, cela va sans dire, mais avec infiniment de grâce et de poésie. Au premier acte, la déclaration du petit guerrier amoureux est une chose tout à fait charmante, et charmante deux fois : par la rencontre ou la succession des motifs d’amour et de guerre, les uns belliqueux, gentiment héroïques, avec un éclat sans banalité ni tapage, les autres enveloppés et comme baignés de candeur, de timidité juvénile et de mélancolie. Ici, la technique, ou, — veuillez excuser l’affreux mot, — la facture, est précise, mais non pas sèche. Sous l’influence, la caresse de certain grupetto qui sert de leitmotiv à l’épisode entier, le style se détend et la mélodie se dégage, les harmonies se fondent, les voix, les instrumens chantent, et la musique, venue du cœur, y retourne, y pénètre et l’attendrit.

D’autres momens sont de ceux qu’on voudrait arrêter. J’aime, pour sa noblesse et pour sa franchise, — qualité rare ici, — l’appel d’Ulysse frappant aux portes du palais. Quant au chant de la déesse encore invisible, par les modes et les modulations, par le rythme et l’accompagnement, par l’heureuse hardiesse de certains « passages, » enfin par l’imprévu d’une cadence amenée de loin, mais bien amenée, il donne vraiment l’impression ou l’illusion d’une cantilène antique. Et puis, et surtout le sentiment ou l’éthos de ces strophes a je ne sais quoi de profond et d’étrange. Il mêle pour ainsi dire la bienveillance ou le bienfait avec le maléfice, avec le mensonge et la ruse de femme, une pitié mystérieuse et je ne sais quelle funeste bonté.

Plus on feuillette cette partition, plus on y aperçoit, comme autour d’un groupe principal, et tourmenté, de petits bas-reliefs au modelé délicat, aux lignes pures. C’est, au second acte, quelques pages de récitatif d’orchestre et de chant par où commence un duo d’Ulysse et de Glycère. Inégal peut-être à tout un drame lyrique, le talent des deux musiciens fraternels sait remplir exactement des cadres plus étroits. Trois ou quatre épisodes de Circé nous ont paru des lieder achevés. En regardant Ulysse humilié, farouche, la jeune Glycère soupire à mi-voix et pour elle-même, pour elle seule, des choses un peu bien subtiles toujours, mais qui sont d’un sentiment délicieux. Dans le duetto qui suit, Elpénor et Glycère, mêlant leurs regrets et leurs larmes, se disent de ces choses encore. Si le triste et noble appel de Pénélope ne produit aucun effet, la faute, la très grande ou très lourde faute, en est à l’interprète. Celle-ci vraiment y met trop de zèle et d’entrain, trop peu de discrétion et de mystère. Sa voix appuie et s’étale au lieu de glisser doucement et de suivre comme en songe le