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fil du courant mélodieux. Mais s’il vous plaît d’en appeler de la chanteuse à la chanson qu’elle chante, qu’elle chante trop, vous en éprouverez le charme pénétrant. Vous goûterez ce que volontiers, si les mots ne semblaient se contredire, on appellerait un lied antique. Au fait, ils ne se contredisent point ici, parce que le flottement tout moderne de la mélodie ou de la mélopée, l’ingéniosité des harmonies, moins contournées qu’ailleurs et d’autant plus expressives, se concilie avec des qualités classiques : la logique tonale, la pureté de la ligne, la régularité du rythme en accords égaux. Un plus vif accent de l’orchestre marque ou pique çà et là, dans cette musique d’apparition ou de rêve, un point sensible et presque douloureux. On se rappelle, de loin, deux belles stances de Gounod dans Ulysse, plaignant cette Pénélope, qui se plaint elle-même ici. Rien de plus opposé que les deux styles par les élémens ou les procédés ; mais par le sentiment ils se ressemblent et, de la même figure, ils nous donnent deux visions ou deux portraits également achevés.

Un dernier épisode achève dignement cette frise sonore. Il représente Ulysse près de partir, mais encore incertain et dévorant son cœur sur le rivage de la mer retentissante. Le héros évêque son fils absent et sa lointaine épouse. Il les revoit l’un et l’autre et revoit avec eux son pays, sa maison, les travaux et jusqu’aux animaux des champs, les chèvres gourmandes, le lait écumant dans l’argile, et les outres pleines de vin. La poésie a choisi là d’heureux détails et la musique a marqué chacun de l’accent le plus juste, le plus doux et quelquefois le plus fort. Pittoresque et sentimentale, cette page est en même temps une bucolique et une élégie. Bien composée et très définie, elle s’encadre entre deux appels mélancoliques, l’un à l’enfant, l’autre à l’épouse. Tous deux, sur des accords simples, mais profonds, mais lointains, s’élèvent lentement et s’épanouissent. Bien des fois, en écoutant la musique d’aujourd’hui, l’on se prend à douter si l’on comprend, si l’on aime encore la musique. Il suffit de pages comme celle-là, pour en retrouver, — avec quelle joie ! — et le sens et l’amour.

A propos de Circé, ainsi que de chacun des ouvrages de MM. Hillemacher, on a cherché de nouveau le secret de la collaboration musicale et de la division du travail entre les deux frères. Avec la liberté, si ce n’est avec l’égalité, cette fraternité paraît en effet peu compatible. Autant se comprend le partage d’une œuvre littéraire, où l’idée et la forme sont distinctes, autant s’explique peu celui de l’œuvre musicale, où toutes les deux sont confondues. Il y aurait plusieurs façons de résoudre le problème. D’abord la manière naïve : l’un des frères se