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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/533

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des partis et des agitations de toute sorte qui remuent le pays. À cet effet, Sa Majesté a décidé que les rapports importans de la préfecture de police vous seraient communiqués (25 novembre). » Évidemment l’Empereur était décidé à me prendre à mes conditions, et ce n’était plus qu’une question de jours. Un petit fait me démontra que, dans le monde bonapartiste, personne n’en doutait plus. Paul de Cassagnac vint me faire une visite : tout en conservant ses opinions d’autrefois, il voulait, dit-il, faire sa paix avec moi.

Mais un ministère nouveau ne pouvait vivre qu’avec une majorité. Comment constituer cette majorité ? La tendance d’une portion des 116 à repousser plutôt qu’à attirer les candidats officiels et à se constituer en un groupe, intransigeant à sa façon, dont le premier acte devait être une interpellation hostile au Ministère, s’accentuait chaque jour dans les conversations et dans les journaux. Comme ce groupe, même uni à la Gauche, ne pourrait être qu’une minorité, j’aurais, en m’en rapprochant, rejeté vers Forcade les députés douteux ou incertains prêts à se rallier à nous, et j’aurais rendu la constitution d’un ministère libéral impossible sans une dissolution préalable. Or, comme à Daru et à Buffet eux-mêmes, comme à tous les gens sensés non préoccupés de pêcher en eau trouble, ou de devenir députés, la dissolution, dans l’état d’énervement du pouvoir et d’agitation des esprits, m’eût paru une témérité grosse de conséquences désastreuses. Le pays n’y aurait rien compris et se serait demandé pourquoi on renvoyait une assemblée dont le seul acte important avait été d’exprimer à l’Empereur des vœux de libéralisme qu’il avait immédiatement exaucés. Je lui rappelais le conseil de Morny : « On se trompe rarement en faisant le contraire de ce que vos ennemis désirent que vous fassiez. » Or, la dissolution était le principal du programme que Rochefort et tous les ennemis développaient dans leurs journaux et dans les réunions publiques. Je m’appliquai donc à déjouer les mauvaises dispositions de ce que j’appelais la partie pointue des 116 et de les réduire au plus petit nombre possible.

Dès la première réunion (26 novembre), le dissentiment éclata. Segris proposa de convoquer dans une prochaine séance les députés qui n’avaient pas signé l’interpellation, mais qui en acceptaient la pensée. Cet appel ne nous exposait pas à être noyés dans nos adversaires, puisque ceux-là seuls y répondraient