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constitutionnel a paru à juste titre un anachronisme. La création du ministère des Beaux-Arts, réclamée depuis longtemps, acceptée déjà en juillet par Votre Majesté, aura l’avantage de donner un poste à mon ami Maurice Richard. Plus tard elle vous permettra d’introduire aux affaires certaines individualités considérables qui ne pourraient y avoir accès autrement. Au lieu de vous communiquer ces résultats de vive voix, je préfère, Sire, vous les transmettre par écrit, afin que vous ayez le temps de réfléchir avant de vous prononcer. Mais je vous donne avec force, avec insistance, avec conviction, avec certitude le conseil respectueux d’accepter ce ministère. L’essentiel en ce moment est de rassurer et de ramener à vous les classes intelligentes et moyennes ; un tel ministère me paraît adapté à cette tâche. Il ne supprimera pas de votre route toutes les difficultés et tous les ennuis ; il en supprime les périls actuels. Je prie Votre Majesté de m’excuser si mon œuvre n’est pas conforme à ses désirs, je n’ai été mû que par le sentiment d’un bien loyal dévouement dont je vous donne une nouvelle assurance. »

A quatre heures et demie, je reçus de l’Empereur ce billet : « Venez causer avec moi. » Je n’entrai pas aux Tuileries par la porte officielle, sous le pavillon de l’Horloge, je passai selon mon habitude par l’intérieur du Cabinet. J’y trouvai Conti : « Eh bien ! me dit-il, le ministère est fait ? — Oui. — Avec le Centre Gauche ? — Oui. — Il ne durera pas trois semaines. — Nous verrons. » L’Empereur m’accueillit avec de moins lugubres augures. Je m’attendais à le trouver soucieux. Il me tendit la main en souriant, et me dit : « Eh bien ! c’est terminé ; j’accepte votre liste. Seulement, je désirerais que le maréchal Vaillant conservât son entrée au Conseil ; tâchez de l’obtenir. » Puis il appela Conti et Franceschini Pietri. Afin d’être sûrs que les décrets paraîtraient le lendemain, nous nous mîmes tous les trois à les rédiger. A mesure qu’il y en avait un de terminé, l’Empereur le signait et je le contresignais. Un moment, il se prit à rire, et, tirant le bout de sa moustache, il dit : « Je ris en songeant à Chasseloup, il voulait renvoyer les autres, et le voilà dehors. » Le dernier décret signé, je me levai, et, appuyant la main sur les nominations : « Sire, si demain ces décrets ne sont pas accueillis par une satisfaction générale, je n’ai qu’un conseil à donner à Votre Majesté, c’est de tirer l’épée et de se préparer au combat. » Et comme l’Empereur me remerciait : « Non, Sire, c’est à moi de