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nouveaux sculpteurs. Considérez aux Champs-Elysées les deux figures de travailleurs courbés sous le poids du corps de leur camarade mort dans la Carrière, par M. Henri Bouchard ; voyez son Laboureur au repos. Avec la délicieuse fontaine aux grenouilles de M. Max Blondat, ces rudes silhouettes sont assurément les choses les plus attachantes du Salon de sculpture. C’est un axiome aujourd’hui parmi les « modernistes » qu’un séjour à l’Ecole de Rome tue toute originalité naissante. La villa Médicis est tenue pour responsable de tout ce qu’on aperçoit d’inutile dans notre peinture, de banal dans nos statues et de nuisible dans l’activité de nos architectes. Le « bonheur de n’être pas allé à Rome » est devenu un des plus inévitables lieux communs de la critique d’art contemporaine, et aussi sûrement rencontré dans les thèses de nos historiens sur nos artistes primitifs ou du XVIIIe siècle qu’un cyprès dans un paysage de Florence ou un cheval blanc dans un tableau de Wouwerman. Expliquer ainsi que tels artistes aient du génie et que tels autres n’en aient pas est une solution assurément séduisante par sa simplicité, mais bien faible devant toute vérification. Car on ne voit pas, par exemple, ce qu’Hogarth ou Reynolds, qui ont couru sur les chemins de Rome, y ont bien pu perdre de leur originalité primitive, ni que Troyon, qui n’y est point allé, en montre beaucoup davantage que Corot qui y a peint. On s’étonne que les maîtres puissent à ce point influencer d’autres tempéramens que les faibles, — ceux qui, dans quelque pays que ce fût, hors dans une île déserte, eussent toujours été influencés par quelqu’un. Et lorsqu’on entend des artistes se plaindre d’avoir égaré de grands rêves, d’éblouissantes visions nouvelles, dans leur voyage d’Italie, on songe involontairement à de pauvres diables qui s’en iraient à la Préfecture de police, au bureau des objets perdus, réclamer le Régent ou le Kohinor, persuadés que, s’ils ne les ont pas dans la poche, c’est qu’ils les ont perdus… Or, le fait est que, depuis plusieurs années, rien n’a paru d’aussi original dans la statuaire contemporaine que, voici deux ans, la Danse sacrée de M. Ségoffin, qui venait de l’Ecole de Rome, ni que, l’an dernier, les Fils de Caïn, de M. Landowski, qui y avait séjourné de même, ni que, cette année, la Carrière et le Laboureur au repos, de M. Bouchard, qui en vient aussi.

Ce n’est donc point l’Ecole de Rome, ni aucune organisation extérieure, qu’il faudrait accuser si les Salons étaient, au total,