Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/579

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

année, la première chose qu’on aperçoit, en entrant avenue d’Antin, est un grand groupe d’aveugles d’Orient où M. Charlier se montre préoccupé du même problème. Et, tout à côté, il semble bien que la figure qui s’avance courbée et voilée en volute, comme une cloche en marche, les mains tendues pour explorer l’ambiance, le pied soulevé comme pour « sonder, » selon l’expression de Montaigne, « le gué de bien loin, » soit aussi une figure d’aveugle. C’est seulement une figure du Doute, qu’a voulu montrer M. de Saint-Marceaux, mais du Doute sur le chemin de la vie et ne s’y hasardant qu’avec les précautions infinies qu’on voit prendre aux Parisiens en marche dans leur patrie depuis que leurs chemins traditionnels les conduisent inopinément à des améliorations souterraines. Un autre geste d’aveugle est étudié, au Salon des Champs-Elysées, par M. Badoche-Descharnes dans un groupe de marbre : une jeune fille caresse un bébé qu’elle ne voit pas, qui ne la regarde pas, qui ne peut être attiré par l’éclat des yeux, ni par cette mimique du geste par où l’on intrigue d’ordinaire les tout petits, et qui gît, un peu au hasard, sur les genoux de sa grande sœur perdu dans le rêve mystérieux de l’enfance comme l’aveugle dans celui de la nuit.

D’autres artistes s’appliquent, dans les deux Salons, aux mêmes enquêtes, et il est probable que les études commencées ne s’arrêteront pas là. Mais le sujet vraiment épidémique, celui qui, par des affinités mystérieuses, paraît, depuis plusieurs années, toucher le plus les peintres, ce n’est pas un sujet humain, ni social ; ce n’est pas un aspect nouveau de la vie, ni un point du globe nouvellement découvert : c’est le sujet le plus fréquent dans les paysages de tous les musées depuis le XVIIIe siècle, — c’est Venise.

Il y a, parmi les salles, merveilleusement aménagées par M. Dubufe, pour donner à ses hôtes de l’avenue d’Antin toutes leurs aises, un salon où, dans quelque coin qu’on se blottisse, on est à Venise : la salle VII. Il faut y demeurer. Elle est favorable aux haltes silencieuses. M. Le Sidaner, en six toiles, M. Iwill, en trois, y célèbrent leur culte. Et, aux Champs-Elysées, il y a aussi une salle, la salle 4, que MM. Franc-Lamy, d’Estienne et Godeby ont pareillement consacrée à Venise. Si l’on observe, en outre, que MM. Abel Truchet, Raymond Kœnig, Alexander Harrison et Guillaume Roger, avenue d’Antin, et qu’aux Champs-Elysées MM. de Joncières, Duprat, Vignal, Rigollot, Maurice