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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/628

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délicieux. » Et « la dangereuse voix d’or, » on le sait, a longtemps chanté dans les proses de l’auteur d’Aziyadé.

Il avait alors entre quatorze et quinze ans. Ses vocations successives s’étaient toutes évanouies l’une après l’autre. Seule, sa vocation de marin avait survécu. Il résolut de la suivre, et d’abord s’en ouvrit à son frère. La mer n’est-elle pas « le cloître profond et superbe, le souverain refuge ouvert aux désolés qui n’ont pas de foi ? » Peut-être aussi un secret instinct l’avertissait-il que seule cette carrière lui permettrait de remplir toute sa destinée, de cueillir comme à pleines mains, sous les cieux les plus divers, les impressions, les couleurs et les images dont il avait besoin pour mettre en œuvre tous les dons qu’il sentait en lui. En tout cas, sa première enfance est alors bien finie ; et au sortir de là, voici que le Loti que nous connaissons nous apparaît au complet déjà, tel que nous l’avons toujours connu.

Il est né, — c’est là le fond primitif et inaliénable, — avec une âme mobile et chantante de poète, plus capable qu’aucune autre de vibrer et d’être émue, et de traduire avec des mois les émotions qui l’agitent. Un moment, l’idéal religieux paraît remplir les besoins de cette âme d’enfant ; mais bientôt, « le froid et l’ennui » des raisonnemens humains s’y glissent malgré elle, « lui amoindrissant la Bible et l’Evangile, lui enlevant des parcelles de leur grande poésie sombre et douce ; » et peu à peu, pour y suppléer, elle se laisse dériver aux spectacles toujours renouvelés de la nature extérieure, à tous les « divertissemens » du monde et de la vie. Mais cette lente substitution d’un idéal à un autre ne s’est pas faite en un jour, ni sans douleur, ni parfois sans retours attristés vers le passé. « Je ne crois à rien, ni à personne, écrira-t-il dans son premier livre, je n’aime personne ni rien ; je n’ai ni foi ni espérance. J’ai mis vingt-sept ans à en venir là ; si je suis tombé plus bas que la moyenne des hommes, j’étais aussi parti de plus haut. » De son éducation protestante, il a gardé, avec un grand fond d’individualisme moral, la faculté, précieuse pour un poète, de comprendre et de sentir les choses religieuses : peu d’écrivains ont exprimé plus fortement, plus sincèrement que Loti, avec un accent de détresse plus profonde, la nostalgie de la foi perdue. D’autre part, quand, de toutes les forces de son âme, on a cru à l’immortalité, on ne renonce pas aisément à cette consolation et à cette croyance ; et c’est en partie pour y suppléer encore que Loti a écrit, pour « lutter