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et ne contiennent pas en puissance moins d’expansion et de vie. Un des plus frappans ne consiste que dans deux accords parfaits, disposés et comme étages de haut en bas, à l’octave, et tenus longuement. La suppression de la tierce, laissant dominer la quinte, leur donne quelque ressemblance avec les premiers accords de la Neuvième Symphonie de Beethoven. C’est par eux, ou plutôt c’est entre eux, comme entre deux pilastres, que s’ouvre, toute grande, la partition, et chaque fois qu’ils reviennent au cours de l’ouvrage, ils semblent ouvrir encore, — et l’encadrer aussi, — un horizon profond et mystérieux.

Trois ou quatre notes seulement, on le disait plus haut, mais de6 notes efficaces, des notes élues et marquées de je ne sais quel signe sacré, peuvent suffire à constituer un thème. Elles y suffisent dans la scène finale, peut-être la plus émouvante, où, sous le poignard inopinément sauveur d’Ariane taciturne, tombent les liens du héros, lui-même silencieux. Ici nous pouvons nous souvenir, mais par analogie et non plus, comme en écoutant Salomé, par antithèse, de formes thématiques brèves et belles entre toutes et, par exemple, de l’entrée de Tristan. Ici nous pouvons admirer la musique à la fois dans la plénitude et le raccourci de son être. Ainsi le symphoniste dramatique d’Ariane et Barbe-Bleue établit son œuvre sur des bases solides et profondes. Elle peut s’élever très haut parce qu’elle s’appuie et s’assure en bas, et si parfois sa tête au ciel paraît voisine, ses pieds touchent à l’empire des morts, des plus grands, des plus illustres entre les morts.

Symphonique principalement et par essence, la partition de M. Dukas a néanmoins des parties et des beautés vocales. La voix et le chant, un chant, — si ce n’est un air, — de bravoure, avec des éclats, des emportemens de lyrisme enflammé, domine et couronne toute la symphonie des pierres précieuses d’une sorte de vocero triomphal. Mais surtout c’est la voix presque seule, à peine accompagnée et soutenue, la voix à découvert, dont le musicien de drame excelle à tirer l’effet le plus dramatique et le plus musical à la fois. Non moins qu’à l’éloquence du commentaire instrumental, la beauté supérieure des dernières scènes tient à l’éloquence du discours, mélodique ou récitatif, au pathétique de la parole notée, à la profonde, à la poignante vérité des intonations. Pendant le premier acte, sur le triste cantique des captives, le dialogue de la nourrice et d’Ariane se détache avec un relief surprenant. Enfin, n’est-il pas un peu, ce cantique lui-même » comme la protestation et la revanche de l’élément mélodique et vocal, si, dans un drame symphonique, rien ne nous émeut davantage, d’une