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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/704

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émotion plus forte et plus pure, qu’une simple cantilène, à laquelle un trémolo plus simple encore sert d’accompagnement !

Ainsi l’œuvre se partage, dans une certaine mesure, entre deux principes : celui de la symphonie et celui du chant ou de la voix. Mais elle manifeste encore un autre équilibre. Avec un sentiment très juste de l’ordonnance en quelque sorte architecturale, le musicien a fait alterner, dans chacun des trois actes de sa partition, la puissance, la plénitude sonore, avec le vide et presque le silence. De cette succession et de ce contraste, il a tiré des effets d’une très grande et presque classique beauté.

Avons-nous tout dit de cette œuvre ? Oui, peut-être de ses formes, ou de son corps. C’est de son âme qu’il resterait à parler. Ame de noblesse et de pureté ; âme de douceur, et de douleur aussi ; âme d’inquiétude et parfois d’épouvante ; âme, enfin et surtout, de mystère. Le mystère, voilà sans doute un des objets, un des élémens principaux de la musique et je dirais volontiers l’une de ses fins, si le propre de l’art, et de l’art musical en particulier, n’était justement d’être infini. Quoi qu’il en soit, peu d’œuvres autant que celle-ci, parmi les œuvres d’aujourd’hui et d’hier, nous ont donné l’impression et l’émotion du mystère. La musique ici nous amène en quelque sorte au bord du grand secret. Et même, à certains momens, elle nous permet de nous pencher sur lui et d’en entrevoir quelque chose. La musique, dans les dernières scènes d’Ariane et Barbe-Bleue, explique le poème et l’éclaire. Derrière les voiles qu’elle écarte, elle nous fait deviner, et surtout ressentir, ce que le symbolique récit d’une rédemption inutile peut cacher d’amour et de pitié, de mélancolie et de pardon. C’est en de tels inslans que la musique s’élève de l’ordre de l’esprit à l’ordre de la charité. Alors, comme disait Beethoven, elle est une révélation plus haute que la parole et que la philosophie.


Il y a dans Ariane el Barbe-Bleue deux rôles auprès desquels tous les autres ne sont rien : celui d’Ariane et celui, non pas de Barbe-Bleue, mais de l’orchestre. Le premier est joué par Mme Georgette Leblanc, sans assez de voix, mais avec toute l’intelligence et le sentiment qu’il faut. Le second est tenu remarquablement, et de toute manière. M. Ruhlmann est un chef excellent.


Camille Bellaigue.