Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

physionomie de la capitale : « Paris est dans un état de frayeur et de morne effrayant. Il n’y avoit hier que des gens armés dans les rues : le plus grand nombre des boutiques étoit fermé. Louis a fini son agonie à onze heures. Il n’y avoit que de la troupe. » Quelques jours après, il est las de vivre et voudrait avoir terminé son existence, « tant la tristesse le dévore. » Le 22 avril, il remarque que « les dimanches ne font point vaquer l’instrument fatal, » vu l’affluence des condamnés. Le 23 floréal an II (12 mai 1794), Jean Fougeret, « despote et tyran de ses concitoyens, dont la correspondance respirait tout ce que l’égoïsme et la sordide avarice peuvent dicter de vœux pour l’anéantissement de la liberté et de l’égalité françoises, » subissait le supplice de la guillotine.

Cependant, à la date du 18 janvier 1793, M. Beaulieu profite « du calme de la matinée » pour écrire à M. Reviers de Mauny. A l’heure où la Convention vote la mort du Roi, il semble que personne ne suspende ses occupations pour réfléchir à cet événement. Beaulieu, qui est allé la veille à l’Assemblée, n’y a trouvé que les deux tiers des membres et a observé que les tribunes n’étaient qu’à moitié remplies. Le drame qui se joue n’intéresse qu’un petit nombre de gens, la foule reste indifférente. M. de Vaissière nous donne les lettres écrites par M. de Bernard à sa femme et à sa mère, relatant le procès et la mort de Louis XVI : il indique que cette correspondance a déjà été publiée en 1904 dans la Revue des études historiques. Nous n’avons pas besoin d’en signaler plus longuement l’intérêt : il suffit de dire qu’elle retrace en termes émus le douloureux calvaire gravi avec tant de courage par le roi-martyr.

Le cortège des victimes ira toujours grossissant. « C’est un pays affreux, » écrit le marquis de Rome à M. de Salaberry, le 9 avril 1793. Étant allé se promener aux Champs-Elysées, il voit une grande affluence de monde autour de la statue de Louis XV. Il s’approche par curiosité. « Je poque presque le nez sur une guillotine, dit-il… Je n’eus que le temps de prendre mes jambes à mon col, et je cours encore. » — M. de La Balmondière cherche, le 30 avril 1793, à s’excuser auprès de sa femme du reproche de jalousie qu’elle lui avait adressé. L’amour conjugal se lit à chaque ligne de cette touchante épître : « Mon cœur t’est trop connu, tu sais assez qu’il n’est de bonheur pour moi que dans tes bras. J’ai cherché tous les moyens de t’en convaincre. » La guillotine devait séparer ce couple si uni. En l’apercevant, La Balmondière se mit à rire : « Voilà donc cet instrument qui fait tant de bruit ! s’écria-t-il. Je n’en crains pas le mal. »