Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et voici maintenant les dernières lettres de condamnés. Mme de Thomassin, dirigée de Saint-Dizier sur Paris, écrit en cours de route à son mari pour le tranquilliser. « Si j’avais été capable de jouir de quelque chose, j’aurais admiré avec plus de plaisir le beau pays que je viens de traverser. Les blés y sont si grands et si avancés qu’on les coupe. » La malheureuse, qui simulait la sécurité, n’apprit que quelques jours plus tard que l’arrestation de M. de Thomassin avait suivi la sienne. Les époux se retrouvèrent devant le tribunal révolutionnaire et montèrent ensemble à l’échafaud.

Le même sort était réservé à M. et Mme La Guyomarais chez qui le marquis de la Rouerie était mort[1]. C’est de la Conciergerie que Mme de La Guyomarais fait ses adieux à sa sœur et à ses Mlles. « N’accordez à la nature, — leur dit-elle, — que les regrets dont elle ne peut absolument se défendre. Notre bonheur doit vous consoler. » Même résignation chrétienne chez M. Picot de Limoëlan et chez M. de Pontavice, qui périrent aussi victimes de la conjuration bretonne.

M. de Vaissière a clos la série de ce martyrologe par le nom de Joseph-Julien Honoré Rigaud, conseiller au parlement de Toulouse, Il nous met sous les yeux une lettre d’une belle magnanimité, publiée déjà par M. Wallon dans l’Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, t. III. Le conseiller pardonne à ses ennemis dans un sentiment de charité chrétienne et défend à ses enfans de les rechercher. La plume tombe de sa main. « Mon cœur est suffoqué, — écrit-il à sa femme, — je n’en puis dire davantage. Adieu, oui, adieu ! »

Ces dernières lettres n’ont jamais été remises à leurs destinataires. Grâce à M. de Vaissière, elles s’adressent maintenant à de plus nombreux lecteurs, à tous ceux qui ne demeurent pas insensibles aux souffrances humaines.

À mesure que l’on avance dans l’étude de cet ouvrage, on est frappé de ce qu’il y a de juste dans l’opinion de Mallet du Pan, lorsqu’il affirmait que la liberté était chose à jamais inintelligible aux Français. L’enthousiasme du début, les espérances caressées à Versailles au printemps de 1789, céderont vite la place à la fatigue, au dégoût, aux doléances ininterrompues. L’on s’apercevra bientôt que la fausse philosophie et les principes dont se réclament les membres de l’Assemblée engendrent des conséquences imprévues devant lesquelles les illusions se dissipent et la pensée recule avec épouvante. Si le Roi accepte la Constitution, c’est qu’il se trouve dans la

  1. Voyez G. Lenôtre, le Marquis de la Rouerie et la Conjuration bretonne (1790-1793), 1 vol. in-8o ; Perrin.