Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tend à former des hommes. Nous ne devons pas négliger, néanmoins, l’appui que doivent leur donner les lois, les institutions et les gouvernemens.

La France est restée très arriérée en ce qui concerne les lois qui s’appliquent aux affaires. Nous en sommes encore à l’article 419 du Code pénal qui menace de prison et de surveillance de la haute police ceux qui, en se réunissant ou en se coalisant, tendent à ne vendre qu’à un certain prix les marchandises dont ils sont détenteurs. On a peine à le croire en présence de l’immense développement commercial et industriel que l’Allemagne et les États-Unis doivent à leurs trusts et cartels, si utiles pour le développement de leurs exportations. De même, nos lois sur les sociétés par actions sont beaucoup trop restrictives, et, si la loi de 1867 a été un peu améliorée, elle n’en a pas moins pour résultat, telle qu’elle est encore actuellement, d’entraver les créations françaises et d’encourager la constitution, en Angleterre et en Belgique, de sociétés qui viennent ensuite placer leurs titres en France dans les conditions les plus défavorables pour nous. Avec le désir très honorable de protéger les petits et les ignorans, le système français aboutit en pratique à faire mettre la petite épargne française en coupe réglée d’une façon déplorable, et cela en majeure partie par l’étranger. Habituer ses nationaux à se croire protégés par le gouvernement, les maintenir en lisières toute leur vie, c’est les exposer à beaucoup plus de dangers qu’en les élevant dans la liberté et dans le sentiment des responsabilités qui en découlent. On peut constater, du reste, que les pénalités exagérées et surtout le luxe des formalités qui visent à protéger les ignorans, n’aboutissent qu’à entraver les honnêtes gens et n’arrêtent que fort peu ceux qui ne le sont pas.

Nous devons déplorer aussi les idées qui président au fonctionnement de nos institutions politiques. Le suffrage universel, dans son état actuel, a pour effet de réserver la vie parlementaire aux hommes qui, habitués à manier la parole, savent enflammer les électeurs sur des questions de socialisme ou d’anticléricalisme. Les grands intérêts commerciaux, financiers ou agricoles ne jouent presque aucun rôle dans les élections et le résultat s’en fait cruellement sentir dans nos assemblées législatives. La France est de tous les pays celui qui compte proportionnellement comme députés le moins d’hommes rompus aux affaires et, en