Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et loin, à l’horizon, où se perdaient ses yeux,
Semblaient, mirage ardent, apparaître les Dieux…
Quand il vit, demi-nue et splendide, une femme
Qui venait se baigner au fleuve, et dans son âme
Il sentit un tel choc d’amour, un tel désir,
Qu’il souffrit et trembla, comme près de mourir.
Des esclaves armés accoururent ; le prêtre
A pas lents s’éloigna, gardant en tout son être,
A l’extase, au désir mêlé, ce tremblement
Qu’il avait pris soudain dans le rayonnement,
Dans l’éclat foudroyant de cette forme nue.

Il apprit d’où venait cette femme inconnue :
Courtisane fameuse, elle était de Memphis.
Dès lors ne rêvant plus qu’à la tige de lis
De ce long corps divin, adorable, sans tache,
Il devint chaque jour plus débile et plus lâche.
Il lutta, ses efforts demeuraient superflus ;
Il aimait ses enfans, il ne les aima plus ;
Il écartait, brutal, leurs petites mains douces ;
Sa femme dit : « Qu’as-tu, pour que tu nous repousses ? »
Et son mal à la fin le tortura si fort,
Qu’il comprit que l’Amour, puissant comme la Mort,
Pouvait tuer aussi, non moins qu’elle inflexible !…

Alors un jour, poussé du désir invincible,
Oubliant tout, les Dieux, son temple, sa maison,
Sa femme et ses enfans, n’ayant plus sa raison,
Et de la courtisane ayant franchi la porte,
Il la revit !… Courbé, d’une voix presque morte,
Devant l’être aux seins purs, qui se montraient encor
Sous un fin voile noir, pailleté de points d’or,
Il soupira : « Je meurs et t’adore, ô Déesse,
Mais je voudrais mourir en goûtant ta caresse.
Oh ! réponds : que faut-il pour approcher de toi ?
Ton prêtre est là qui prie : impose-lui ta loi ;
Tous mes biens à tes pieds, est-ce assez pour offrande ?
— Je vaux plus, lui dit-elle, et je l’attends plus grande.
Déesse, j’ai le droit, comme certains des Dieux,
D’exiger des trésors qui soient plus précieux.