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Du ciel blanc de ma chair tu rêves les délices ;
Sur mon autel je veux aussi des sacrifices :
Tes enfans m’ont raillée hier, tu les tueras,
Et je te recevrai peut-être entre mes bras. »
Et comme il répondait : « Laisse que je contemple
De plus près ta beauté, seule aujourd’hui mon temple, »
Elle dit : « Tu connais maintenant mon vouloir ;
Obéis donc, va-t’en, je t’attendrai ce soir. »

Malgré leurs yeux de fleurs, malgré leur bouche tendre
Qui l’imploraient, hagard, ne pouvant les entendre,
Sa femme au loin, bourreau n’ayant plus rien d’humain,
Ses trois petits, il les étrangla de sa main…
Et puis, en titubant, il retourna vers elle.

Assise sous la lune, effroyablement belle,
Elle songeait. Il dit : « J’ai tué les enfans… »
Elle l’illumina de regards triomphans,
Et, morne, murmura : « Ta femme vit encore ;
Il faudrait qu’elle aussi fût morte avant l’aurore ; »
Et, faisant ruisseler la nuit de ses cheveux
Autour de ses reins nus, elle ajouta : « Je veux
Ton amour pour moi seule, et sans aucun partage ;
Ta femme n’est point belle et paraît d’un grand âge ;
Pars, et tu reviendras, s’il te plaît, mais demain ; »
Puis elle le chassa d’un geste de la main.
Et, sinistre, le prêtre alla vers sa demeure,
Se répétant sans fin : « Il faut donc qu’elle meure !… »

Sa femme, apercevant le maître, se voila :
« Nos trois enfans sont morts, quand je n’étais pas là,
Criait-elle avec des sanglots, et je les aime,
Et veux aussi mourir, pour les mener moi-même
Vers les Dieux souterrains… » — « Oui, meurs. » Et, toujours fou
Il se rua sur elle et lui rompit le cou.
Et dès le matin clair, il repartit très ivre,
Riant d’un rire étrange et hurlant : « Je vais vivre ! »