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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/935

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C’était un mal vulgaire et bien connu des hommes ;
Mais lorsque nous avons quelque ennui dans le cœur,
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n’a senti la douleur.


Et il ajoute :


S’il fallait maintenant parler de ma souffrance,
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
Si c’est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter.


Qu’est-ce à dire sinon qu’au fond de l’aventure individuelle l’analyse découvre l’humanité commune ? Elle parvient ainsi à sa fin véritable et révèle son utilité. C’est par là que le récit de notre souffrance est rendu légitime : il l’est dans la mesure où les autres hommes y peuvent retrouver leur propre histoire, et partant en profiter comme d’une leçon.

Le danger, avec les analystes de leur propre sensibilité, c’est que parfois ils n’ont à nous conter que d’insupportables bizarreries et plus souvent encore d’insipides niaiseries. Ils parlent, comme tant d’autres, sans avoir rien à dire. Ils se posent en peintres de l’amour, et ils n’ont éprouvé que les semblans de l’amour. On sait au contraire quel a été le « cas » de Musset. Il lui est arrivé, par un privilège de sa nature excessive, d’être aux prises avec une de ces passions, si rares dans l’histoire du cœur, et dont on ne cite que quelques exemples. Certes nous ne reviendrons pas ici sur l’épisode fameux. Il nous suffit de constater quel en a été le retentissement dans l’âme du poète. La passion l’avait complètement renouvelé. « Je m’aperçus que tout avait changé. Rien du passé n’existait plus, ou, du moins, rien ne se ressemblait. » L’homme et l’écrivain étaient pareillement métamorphosés. Le poète, grandi par une grande douleur, n’avait plus qu’à « écouter dans son cœur l’écho de son génie. » Or notez que, depuis le XVIIe siècle, la littérature n’avait rien ajouté à ce qu’on peut appeler le « mécanisme » des passions de l’amour. Certes Lamartine avait poussé des cris sincères et traduit avec une incomparable harmonie l’extase ou la mélancolie amoureuse. Mais comment se comporte une âme ravagée par la passion, quelles y sont les alternatives de la lassitude et de l’effort pour renaître, après quelles révoltes parvient-elle à l’apaisement ? C’est ce que personne depuis cent cinquante ans n’avait su dire, et c’est ce qu’on trouvait noté avec une finesse et une sûreté incomparables dans les Nuits. Ces beaux poèmes nous offrent, dans