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change. L’inquiétude augmente encore, si l’on va au fond des choses et si l’on se demande où est le remède à une situation aussi profondément troublée, car ce remède, on ne l’aperçoit pas.

Le Midi se plaint de la mévente du vin : c’est le mal dont il souffre, et il s’adresse aux pouvoirs publics pour qu’ils l’en guérissent. Mais qu’y peuvent les pouvoir publics ? Les lois économiques ont quelque chose de l’inflexibilité de la fatalité antique. Quand on a fait plus de vin que le consommateur n’en peut absorber, la mévente d’une partie de la production est inévitable. Le Midi affirme, il est vrai, et avec des chiffres à l’appui, que la production n’est pas supérieure à la consommation : où est donc la cause de la crise ? Elle est, dit-il, dans la fraude. Sans doute il y a la fraude, la fraude plus ou moins coupable qui consiste à mettre dans son vin de l’eau, du sucre, des ingrédiens chimiques d’ordres divers, au moyen desquels, avec une barrique, on en fait plusieurs. Surveillez, réprimez cette fraude, lorsqu’elle dépasse certaines limites et qu’elle se produit dans certaines conditions, rien de mieux ; mais, quand le Midi jette à ce sujet la pierre au Nord, il est permis de demander si lui-même est sans péché. Il voit la paille dans l’œil de son prochain, il ne voit pas la poutre dans le sien. La vérité est que tout le monde a commis des imprudences et que les départemens méridionaux n’en ont pas été plus exempts que les autres. Protectionnistes à outrance, ils ont fermé le marché français aux produits étrangers, sans se préoccuper de savoir si, par un contre-coup inévitable, les marchés extérieurs ne se fermeraient pas aux leurs, et c’est ainsi qu’ils ont perdu des débouchés très importans. Dans cette première ivresse de protectionnisme, ils étaient convaincus que le marché intérieur leur suffirait, et que tous les Français tiendraient à honneur de boire tout le vin qu’ils leur fabriqueraient. Mais ils en ont fabriqué trop, et cela sans que la qualité compensât suffisamment la quantité. Ils ont de plus augmenté cette quantité par la fraude. Dès lors, comment échapper à la crise ? Et, maintenant qu’elle est venue, comment y remédier ? M. Marcelin Albert s’est adressé aux pouvoirs publics sur le ton de la menace : « Qu’ils se débrouillent, s’est-il écrié, et s’ils ne savent pas se débrouiller, qu’ils s’en aillent ! Nous voulons vendre notre vin. » Nous voulons vendre notre vin, c’est facile à dire : il est plus difficile de trouver des acheteurs de bonne composition. Les pouvoirs publics actuels pourraient s’en aller, conformément au congé que leur signifie M. Marcelin Albert, sans que la situation changeât sensiblement. Nous plaindrions seulement ceux qui leur succéderaient, et M. Marcelin Albert tout le premier, si leur