Enfin, le 4 décembre de celle même année 1890, le roi Humbert accorde au glorieux écrivain devenu, sinon le poète de la cour, du moins le poète de la patrie et de la reine, une suprême récompense : une charge de sénateur pour services rendus à la nation.
Carducci ayant accepté cette distinction, les clameurs redoublèrent dans le camp républicain. Et quelques mois plus tard, éclatait un scandale qui devait laisser dans l’esprit du poète une trace ineffaçable. Carducci ayant promis de servir de parrain à la nouvelle bannière d’un cercle universitaire composé de monarchistes libéraux, ceux des étudians de Bologne qui n’étaient ni monarchistes ni surtout libéraux décidèrent de renverser, pour un jour, les rôles et de donner à leur maître une leçon. Le 11 mars 1891, Carducci, pénétrant dans l’auditoire où il avait accoutumé de faire son cours, trouva la salle envahie par une jeunesse tumultueuse. Aux cris qui l’accueillirent, il comprit et se retira, mais les étudians le poursuivirent, hurlant et sifflant. L’un d’eux s’oublia même jusqu’à frapper le poète. Carducci montra sous les outrages une dignité parfaite. A ceux qui, derrière lui, criaient : Abbasso ! il se contenta de répondre fièrement : « Mon génie m’a élevé très haut. Vos hurlemens ne me feront pas descendre. » Puis il se tut. Une véritable cérémonie lustrale eut lieu d’ailleurs dès le lendemain. Dirigée par le syndic de Bologne, une contre-manifestation se rendit au domicile de Giosuè Carducci, blâma bien haut les incidens de la veille et assura le poète du respect unanime de la population. Le maître se montra touché, mais l’insolente provocation dont il avait été victime laissa dans son âme quelque peu ombrageuse une rancune qui ne devait pas s’éteindre. Il avait été jusqu’alors accueillant envers ses élèves, familier autant que sa nature un peu revêche le lui permettait. Il observa désormais une réserve hautaine. Un poète sicilien avec lequel il eut des démêlés épiques, Mario Rapisardi, a raillé « ses cheveux hérissés et ses épaules carrées. » La chevelure de Carducci se hérissa plus encore et ses épaules défiantes se carrèrent davantage au lendemain des troubles de 1891. Les saillies, les rebuffades, les algarades de Carducci sont célèbres. Il ne faisait pas bon encourir ses épigrammes : « Vous vous êtes annoncé à moi comme futur critique, écrit-il un jour à un correspondant, je vous ai répondu : Mais faites donc ! Par là je ne m’arrogeais pas le droit de vous permettre la critique. Je déclarais que cela m’était parfaitement égal. » Les