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Carducci le réprouve et le renie, par incompatibilité d’humeur. George Byron fut anti-chrétien, George Byron mourut pour l’idée hellénique à Missolonghi : cela ne suffit pas à lui concilier les sympathies du poète italien. Châtiant sur les pères les crimes des enfans, Carducci dénonce et condamne en Voltaire un ancêtre du romantisme : « Depuis Voltaire, écrit-il, c’est le règne du nerf sur le muscle. Il faut maintenant que le muscle reprenne sa force. » Sentence bizarre. N’eût-il pas été plus juste d’attribuer à Bousseau le méfait imputé à Voltaire ? Et puis, n’y a-t-il pas, quelque contradiction de la part de Giosuè Carducci, barde chauvin à qui l’on reprocha son « hystérie patriotique, » à proférer l’anathème contre le règne des nerfs ?

Anti-romantique avec emportement, Carducci fut anti-réaliste, anti-naturaliste, anti-vériste avec fureur. Parlant de la littérature contemporaine en Italie, il passa d’ailleurs son temps à se lamenter. À l’en croire, les lettres italiennes mouraient d’anémie dans le ruisseau. Carducci avait un sens critique d’une rare pénétration ; mais il l’exerça rarement au profit de ses contemporains. La production actuelle lui inspirait un mépris intégral et global :


En littérature et en art, déclare-t-il au mois d’août 1873 (Discours A la Ligue pour l’instruction du peuple), l’esprit de notre société va se refroidissant de plus en pins, et notre production devient chaque jour plus intime, plus mesquine, plus insignifiante. Sans doute il ne faut pas attacher aux questions de genre, d’écoles, d’esthétique une extrême importance, mais il faut bien convenir que nous assistons dans ce domaine à un phénomène historique de transformation décadente. Voici que le roman a succédé à l’épopée. Après avoir affecté différentes formes, manifesté diverses tendances, voici qu’à son tour le roman se trouve à la veille de mourir, s’il n’est déjà mort. Le récit, l’esquisse, la nouvelle dramatisée, l’observation expérimentale triomphent. Morte la tragédie, morte la comédie. En leur place, voici le drame d’abord historique, puis social, puis, — comme on dit, — réaliste. Nous sommes devenus incapables d’idéaliser, de représenter dans leur ensemble harmonieux toutes les essences, toutes les conditions, toutes les formes…


Je me refuse à voir dans cette plainte un jugement historique sur l’état des lettres nationales, mais j’y découvre un éloquent témoignage non seulement de la mauvaise humeur chronique du poète italien, mais encore du noble idéal littéraire qui était le sien. Nul n’assigna jamais à la poésie un but plus élevé que Giosuè Carducci, Jérémie attardé du style sublime. Nul ne