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deuxième partie de sa vie le besoin de croire et d’espérer. Carducci a subi la destinée commune, commune aux âmes d’élite et aux cœurs bien placés. Ne se dégage-t-il pas une leçon d’humilité du spectacle de cette pensée se pliant ; à l’âge où elle atteint son plein développement, à une conception plus profondément religieuse de l’univers ? Deo erexit Voltaire, avait écrit le patriarche de Ferney au fronton d’un temple rustique. Giosuè Carducci, doyen des lettres italiennes, a élevé à l’idée divine dans le discours de Saint-Marin un monument plus durable que tous les sanctuaires construits par la main des hommes.


III

Nous avons effleuré déjà la conduite politique de Carducci au cours des événemens qui aboutirent à la reconstitution de la puissance italienne sous l’égide de la maison de Savoie. Mais il est nécessaire d’y revenir. Carducci n’est-il pas avant tout le barde ému de la patrie ? Son œuvre poétique, c’est en vérité l’histoire du Risorgimento considéré à travers un tempérament classique.

D’autres ont été citoyens du monde. Carducci n’a jamais prétendu qu’à la dignité éminente de citoyen romain. Civis romarins sum : ce titre lui parut toujours assez glorieux. Il malmène les Italiens, mais il ne met rien au-dessus de l’Italie. Il voit en elle une très grande personne morale, la plus grande personne morale de tous les temps. Naturellement, c’est l’Italie antique qu’il admire par-dessus tout. C’est elle, la Rome des Quirites, la république civilisatrice par excellence, qui doit montrer la voie à l’Italie nouvelle, alors qu’il s’agit au contraire de répudier l’influence de l’Italie papale, de l’Italie « christianisée, » de l’Italie « sémitisée. » Il appartient à l’Italie nouvelle de restaurer l’ancien idéal romain. Non point que le poète caresse un rêve téméraire de conquêtes impérialistes. La tradition nationale qu’il s’agit de remettre en vigueur, c’est la tradition de Rome initiatrice du droit, foyer de la liberté, champion de la justice : « Tout ce qui au monde est civilisé, dit le poète, grand, auguste, est romain encore. » Son idéal national est un curieux mélange de l’esprit romain traditionnel et de l’esprit révolutionnaire moderne. Il unit dans une synthèse supérieure le respect de l’héritage classique et la foi au progrès, l’amour