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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/126

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de la nature et celui du génie humain, le culte du dieu Pan et celui de ces divinités nouvelles qui s’appellent la Vapeur et l’Electricité. Parce qu’il a chanté les vertes solitudes et les souvenirs mythologiques de l’Ombrie, il ne pleurera point sur les chemins de fer qui sillonnent aujourd’hui cette province. Il est partisan du progrès sous toutes ses formes. Du progrès matériel sortira le progrès moral. Mais qu’est-ce donc exactement que le progrès moral ? Il tient pour Carducci en deux mots : justice et liberté. Or, c’est à faire aimer ces principes que les plus illustres héros de Rome antique se sont attachés, alors que le moyen âge italien aurait entraîné, au contraire, une banqueroute passagère de cette formule. Avec beaucoup d’écrivains de sa génération, Carducci tient pour acquise l’infériorité absolue du moyen âge chrétien. Cette époque eut sa dignité, ses vertus, sa grandeur, sa beauté. Carducci y voit un espace ténébreux semé de rares étoiles entre ces deux foyers de lumière : l’antiquité païenne et la Renaissance de l’antiquité.

La tradition classique était toutefois trop enracinée au sol italien pour périr sans retour sous l’influence chrétienne. Les communes italiennes la recueillirent. Elles donnèrent asile à ce qui survivait du droit romain et la société civile se reforma peu à peu sur ces bases immortelles. Où se trouve, demande Carducci, l’idée d’unité italienne avec Rome pour capitale sinon dans la tradition classique seulement ? L’ode pour le Natale di Roma glorifie cet idéal d’une Rome plébéienne et progressiste, expression suprême de la conscience nationale. Evoquant le passé, invoquant l’avenir, le poète y prédit : « ton triomphe, peuple d’Italie, sur l’âge noir, sur l’âge barbare, sur les monstres dont avec une sereine justice tu affranchiras les nations. »

C’est parce que les grands hommes du Risorgimento incarnent pour la plupart cette tradition classique et nationale que Carducci consacre une longue suite de poèmes à leur éloge pindarique. Victor-Emmanuel, Mazzini, Garibaldi, qu’y a-t-il de plus « italiennement classique » que ces figures ? Dans l’Ode à Garibaldi, Carducci montre le dernier des condottieri prenant place après sa mort parmi ses aînés :


Et Dante dit à Virgile : « Jamais nous ne rêvâmes plus noble figure île héros. » Et Tite-Live ajoute avec un sourire : « Mais il appartient à l’histoire politique de l’Italie, ce Ligurien opiniâtre et hardi qui, appuyé sur la justice, regarde vers les hauteurs et rayonne dans l’idéal. »