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entendit un vicaire exposer les infortunes du prolétariat industriel ; l’assemblée de Dusseldorf, en 1869, eut à l’égard de l’action sociale un rôle instigateur sur lequel nous reviendrons. On ne trouvait, dans ces congrès, ni cette paresse d’esprit qui parfois passe outre aux questions délicates en alléguant qu’elles ne sont pas assez mûres, ni cette prudence conventionnelle qui souvent les écarte en objectant qu’elles pourraient diviser les catholiques. Les congressistes de Cologne et de Francfort, de Wurzbourg et de Dusseldorf, estimaient au contraire que, sous la chaude lumière de la pensée chrétienne, ils devaient aider les questions à mûrir, et qu’il est dans les destinées de cette pensée, dès qu’elle veut s’épanouir pleinement, de devenir un objet de division, de scandale même, a dit le Christ ; et ces grandes assemblées annuelles attestaient au peuple allemand l’anxieux attrait qui courbait l’Eglise vers trois grandes misères : celle des compagnons, celle des paysans, celle des ouvriers d’usines.


II

De ville en ville, avec besace et bâton, d’innombrables compagnons, — Gesellen, comme on les appelait, — promenaient la gaieté de leur âge et la détresse de leur métier. Le temps n’était plus où ils appartenaient à peu près à la famille de leurs maîtres ; sous le nom de liberté, une fée capricieuse, — bonne ou mauvaise, on en discute encore aujourd’hui, — avait commencé son voyage autour du monde et distendu tous les liens qui parfois gênaient les hommes et qui plus souvent les aidaient à mieux s’aimer. Les « libres » compagnons d’Allemagne étaient fort isolés ; parmi eux, les mauvais garçons étaient nombreux, et le conservatisme des hautes classes méprisait volontiers une classe sociale aussi mêlée. Ces disgraciés, pourtant, étaient des Allemands, des baptisés : ainsi se gaspillait beaucoup d’énergie allemande, ainsi se tarissait beaucoup de sève chrétienne. Il fallait se mettre à la piste des compagnons, les moraliser, les encadrer, les suivre dans leurs vagabondages, les joindre dans leurs ateliers ; la tâche semblait surhumaine, parce qu’elle était comme un défi pour les mœurs nouvelles introduites par la liberté économique ; au lendemain de 1848, cette tâche cependant s’accomplit. L’histoire, ici, a tout l’imprévu d’une légende.