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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/164

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« l’Association générale des travailleurs n’aurait, je crois, point été détournée de son but, c’est-à-dire de la mission de veiller aux intérêts de l’ouvrier, et on n’en aurait pas abusé jusqu’à la faire servir des tendances anticatholiques. » Ainsi le cas de conscience soumis à Ketteler par trois prolétaires catholiques devint pour l’évêque de Mayence l’occasion d’un hommage à la personnalité disparue de Lassalle ; et tout au fond de sa pensée, telle que sa réponse la laisse voir, la seule objection vraiment sérieuse qu’il croit pouvoir élever contre la participation des ouvriers à l’effort socialiste était tirée de la malveillance notoire des chefs socialistes contre le catholicisme lui-même.


VII

Ketteler n’était point une exception parmi les catholiques de l’Allemagne. Il suffit de parcourir entre 1860 et 1870 la collection des Feuilles historico-politiques, la grande revue catholique qui s’honorait d’avoir eu Goerres pour fondateur : on constate tout de suite que cette revue, publiée dans la calme Bavière, ne redoute pas la question sociale, que tout au contraire elle évêque cette question, que sans cesse elle l’agite, qu’elle la brandit, pourrait-on dire, sous le regard des « libéraux » inquiets, et qu’en face de l’anticléricalisme bourgeois elle se réjouit de cette agitation ouvrière assez arrogante pour demander à la bourgeoisie ses titres. « Tout le bruit qu’on fait autour de Bonaparte et de Garibaldi, de Cavour et des Cobourg, de la Hongrie et de l’Italie, tout cela passe : une seule chose subsiste, c’est la société profondément malheureuse. Oui, c’est la question sociale ! Vous l’avez oubliée, elle ne vous oublie pas. » Ainsi s’exprimaient, dès 1860, les Feuilles historico-politiques. Et en 1865 : « On peut se disputer sur le Schleswig ; la plus importante de toutes les questions pour nous, c’est de savoir comment le peuple mangera, c’est la question sociale. »

Il plaisait à ce grand périodique catholique de braver ainsi les « nationaux libéraux » en leur remontrant que vainement ils essaieraient d’amuser l’opinion par certains débats politiques ou d’occuper les passions populaires par des excitations antireligieuses ; qu’au-dessous des agitations superficielles où s’attardait la « bourgeoisie, » une question profonde survivait, dont il faudrait bien qu’un jour elle se préoccupât. La Chambre