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hessoise, pour taquiner le ministre Dalwigk et l’évêque Ketteler, aimait les débats sur le cléricalisme. « Le sort des petits métiers, proclamait alors un orateur, est pour moi beaucoup plus important que la question ecclésiastique ; » cet orateur n’était autre que le chanoine Moufang, vicaire général de Ketteler, et dans un long discours, il développait le plan d’une législation protectrice des artisans, susceptible de les aider « contre la tyrannie du capital. » Les Feuilles historico-politiques goûtaient fort ce genre de diversion : il leur plaisait que le catholicisme ripostât aux importunités de l’anticléricalisme par l’importunité souveraine de la question sociale ; des députés voulaient-ils jouer au concile, ou des journalistes s’ériger en théologiens, il se trouvait tout de suite des catholiques pour leur rappeler qu’il y avait des pauvres et que Lassalle existait. Nationaux libéraux et catholiques semblaient parfois lutter d’ingéniosité, les uns pour éluder la question sociale, les autres pour l’afficher.

Aux regards des Feuilles historico-politiques, il était logique que le libéralisme économique fût politiquement antireligieux. « Il est impossible, y lisait-on en 1865, qu’une doctrine qui traite comme une marchandise morte la force de travail de la pauvre humanité puisse être amicale pour la pensée chrétienne. » L’article s’intitulait : Le système du libéralisme économique et l’essence de la bourgeoisie. Quelques mois après, la même revue développait cette idée, que le malthusianisme est la conséquence du libéralisme, et elle concluait : « Un système d’économie politique qui est tombé jusqu’à cette profondeur de mépris pour soi-même ne peut avoir aucun avenir. » Lassalle était autrement traité : « Génie séculaire, écrivait-on, il a percé, de ses pénétrantes intuitions, les profondeurs de l’histoire de la civilisation, et souvent il eut un langage qui serait tout à fait digne d’un voyant chrétien et d’un sociologue chrétien. » Les Feuilles historico-politiques eussent volontiers fait de Lassalle un chrétien qui s’ignorait. Elles insistaient, comme lui, sur les causes qui amenaient la dépréciation du prix du travail, sur l’achat des hommes pour la haute industrie, sur le droit accordé au « capital mort, » sur la concurrence des employeurs ; elles appréciaient comme Ketteler la partie critique du système de Lassalle. Elles n’avaient pas même attendu le manifeste de l’évêque de Mayence pour affirmer elles-mêmes, dès 1863, que la démocratie organisatrice faisait bien de réclamer les droits du