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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/215

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qui se dérobe (et qui, au demeurant, n’est pas heureusement indispensable, puisqu’il s’agit non d’arithmétique où les chiffres sont les chiffres, mais de politique où les hommes sont les hommes ; autrement dit puisque aussi bien, entre un problème à résoudre et une institution à faire fonctionner, il y a et il y aura toujours l’écart qui sépare l’absolu du relatif), il vaut mieux se rapprocher des habitudes, s’en éloigner le moins possible, en tout cas ne pas les heurter, s’inspirer de l’axiome : « Quiconque veut changer l’état d’une cité, doit garder l’ombre au moins des vieilles coutumes : » c’est la résolution qu’a prise la Commission du suffrage universel.

L’ancienne Commission, dans la législature précédente, avait copié le système belge, avec deux modifications. Ce système, on le sait, est celui de la liste bloquée : il interdit de « panacher, » c’est-à-dire que, la liste des candidats ayant été dressée par le Comité directeur du parti, déposée par ses parrains, enregistrée et numérotée, il n’est permis d’y supprimer, d’y ajouter, d’y remplacer aucun nom. Elle est comme clichée avant l’ouverture du scrutin, et par suite le vote de l’électeur est lié. Bien plus, — ou bien moins, — que l’homme de son, parti, il en est (c’est, je crois, de la couleur locale) le « mannequin ; » pourquoi pas déclencher automatiquement quelque appareil à faire tomber dans les urnes la volonté des comités ? L’ancienne Commission, quoique imitant le système belge, en ses grandes ligues, avait été choquée de cette usurpation, de cette confiscation, au profit d’un petit nombre, de ce qu’on appelle, trop pompeusement peut-être, la « souveraineté nationale, » de ce qui est à tout le moins le droit de suffrage, la liberté de choisir soi-même son représentant, condition sans laquelle il est difficile de prétendre que le citoyen puisse être vraiment représenté. Me faisant l’interprète de ses scrupules, je disais dans le rapport que j’eus l’honneur de rédiger pour elle :


Nous ne pouvons laisser si étroitement enchaîner, garrotter, ligotter l’électeur proclamé souverain et qui doit en tout cas être libre. Qu’il soit désirable que l’électeur se conforme à la discipline, pour toute sorte de raisons, et d’abord dans son propre intérêt, afin de tirer de son suffrage le maximum d’utilité et d’efficacité, afin de le porter à la plus haute puissance, et de se porter au pouvoir, lui, ses représentans ou son parti ; qu’une telle discipline soit désirable pour le bon fonctionnement de la représentation proportionnelle, cela va de soi ; mais il va de soi aussi, et plus certainement encore, que cette discipline, nul dans une démocratie n’a le droit de