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Chantera-t-elle ainsi toujours ? Des symptômes fâcheux se produisent. Autrefois déjà, de l’arbre natal, de l’arbre de la vie, avec l’œuvre des Rubinstein et des Tschaïkowsky, une branche s’était inclinée vers l’Allemagne. Sous le poids de certains fruits un peu lourds, tels que les symphonies d’un Scriabine, le rameau continue de pencher. Puisse-t-il se relever avant la chute ! « Il faut, écrivait Tourguéneff, il faut surtout qu’on reconnaisse la vérité nationale. » C’est un devoir en effet de la faire reconnaître ; c’est le premier devoir et le devoir éternel de la musique autant que de la poésie.

Parmi les interprètes, fort nombreux et pour la plupart inconnus, d’œuvres en si grand nombre, il en est quelques-uns d’éminens. La voix de contralto de Mme Zbroueff est une voix magnifique, et celle de M. Smirnoff (un ténor), une délicieuse voix. Quant à l’illustre M. Chaliapine, on n’oserait peut-être pas décider, avant de l’entendre et de le voir au théâtre, s’il est l’artiste sans pareil que célèbre la renommée. Il nous a donné du moins, et plus d’une fois, au concert, avec une simplicité, une étrangeté, une puissance primitive et populaire, la sensation de la nature, de la vie et de la vérité.


Maintenant, dirai-je à M. Messager, avec je ne sais quel personnage de Molière : « Ramenez-moi chez nous. « Oui, c’est bien chez nous, au centre, au cœur de notre pays, que nous ramène le musicien de Fortunio. Chez nous où naguère, au temps chaud, on chantait, ne vous déplaise ; où, même aujourd’hui, j’en suis fort aise, quelques-uns des nôtres osent encore chanter.

Ne reprenons pas la question, peut-être épuisée, de savoir s’il faut ou non transporter sur un théâtre de musique les chefs-d’œuvre du théâtre tout court. La vérité, c’est qu’il y a la manière. Celle de MM. De Caillavet et de Flers a paru, comme toute chose en ce monde, mêlée de bien et de mal.

Le mal, c’est l’addition d’un prologue dont la comédie musicale pouvait, comme l’autre, se passer. A l’Opéra-Comique, de même qu’aux Français, maître André n’avait qu’à entrer tout de suite dans le sujet et dans le lieu de l’action, lequel est, vous le savez tous, la chambre à coucher de sa femme.

Le mal, encore, c’est d’avoir un peu trop atténué chez Jacqueline et chez Fortunio, dans Les rencontres aussi de l’un avec l’autre, l’éclat du grand lyrisme et de la passion déclarée. On a regretté, dût-il être réduit, le monologue de Fortunio sous la charmille et l’explosion de Jacqueline à la fin de la dernière scène d’amour.