été le cas de M. Clemenceau qui a détruit, ou contribué à détruire tant de choses, avec une merveilleuse imprévoyance ; et tout porte à croire que ce sera celui de ses successeurs, jusqu’au jour où l’un d’eux relèvera les ruines que les autres ont faites. L’heure est venue, en effet, où les choses dont on a préparé la chute se déclenchent et tombent toutes seules, au risque d’écraser ce qu’elles devaient abriter.
M. Clemenceau, donc, n’ayant rien fait pour prévenir le danger, a dû y faire face : il a ordonné l’arrestation des principaux meneurs, notamment celle de M. Marcelin Albert et de M. Ferroul. Le premier s’est caché, le second s’est laissé prendre sans résistance, et a jusqu’au bout recommandé le calme à ses amis. Des barricades avaient été commencées à Narbonne pour empêcher les troupes d’approcher de sa maison ; il les a fait démolir lui-même, ne voulant pas, a-t-il dit, mettre de l’irréparable entre le gouvernement et le Midi. On ne peut que l’en approuver. Le gouvernement lui a d’ailleurs rendu, en l’arrêtant, un service inappréciable. Son rôle pacifique était fini : il n’aurait bientôt plus été le maître de ses troupes et, puisqu’il était leur chef, il se serait vu obligé de les suivre. Quoi qu’il en soit, ses conseils n’ont pas été suivis : à peine a-t-il été arrêté que l’insurrection a éclaté. Nous n’en raconterons pas les détails : les journaux quotidiens ont rempli abondamment cette tâche. La troupe a fait son devoir. Assaillie par les émeutiers, elle est restée assez longtemps impassible sous les coups : enfin elle s’est défendue. Nous déplorons le sort de ceux qui ont succombé ; mais ce n’est pas à l’armée qu’on peut en faire un reproche, ou du moins ce n’est pas celui qu’elle a mérité.
Ici, nous arrivons à ce qu’il y a eu de plus douloureux dans ces tristes affaires, c’est-à-dire aux séditions militaires. L’armée, que les régimes antérieurs ont transmise à la troisième République, a été, on ne saurait le dire trop haut, une des plus admirablement disciplinées qu’il y ait jamais eu. S’il lui arrivait un jour de perdre ce caractère, le gouvernement sous lequel un pareil fait se serait produit en devrait compte à la France. L’armée a subi bien des assauts depuis quelques années ; elle a été en butte aux pires influences ; on l’a travaillée du dehors et au dedans ; elle a failli être déshonorée par le régime de la délation : malgré tout, elle a résisté jusqu’ici à la démoralisation, et il a fallu pour cela qu’elle eût conservé singulièrement énergique le respect de ses traditions et de ses devoirs. Mais tout a une fin : nous ne savons plus avec certitude où en est l’armée aujour-