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d’hui. Rien n’a été fait, tout au contraire, pour restaurer son moral et reconstituer ses forces vives, ni pour lui rendre le sentiment de fierté qui la relevait à ses propres yeux. Les auteurs des fiches sont toujours en place ; le favoritisme n’a jamais été plus éhonté ; les influences politiques restent prédominantes, et elles viennent souvent des milieux les plus notoirement anti-militaristes, pour ne pas dire antipatriotiques. Il en résulte entre l’officier et le soldat un relâchement du lien militaire, une diminution de l’autorité en haut, un affaiblissement de la discipline et de l’obéissance en bas. C’est le mal dont souffre notre armée : nous venons d’en voir quelques manifestations significatives. La plus angoissante a été l’étrange fugue des soldats du 17e de ligne qui, après avoir pillé une poudrière et s’être abondamment munis de cartouches, sont partis d’Agde pour Béziers où ils se sont mis au service de l’émeute. Ils étaient près de six cents. Le général Lacroisade, envoyé pour leur barrer la route, n’a pas osé le faire parce qu’il aurait fallu affronter une collision par les armes et engager un vrai combat entre soldats français. M. Clemenceau a approuvé son abstention. Soit. Mais quelle tristesse de voir un général et sa troupe obligés de céder passage à des soldats mutinés et de marcher derrière eux, à distance ! La rougeur en monte au front. On sait la suite. Les soldats du 17e, arrivés à Béziers, ont commencé à comprendre la gravité de leur faute, mais ils n’ont pas consenti à l’expier : il a fallu parlementer avec eux et leur promettre qu’ils ne seraient pas l’objet de punitions individuelles. Ils ont enfin consenti à revenir à Agde, sans renoncer d’ailleurs à leur esprit d’indiscipline. Le lendemain, une vingtaine d’entre eux se sont donné à eux-mêmes une permission que leurs officiers leur avaient refusée. Enfin on a réussi à les désarmer et à les transporter d’abord à Gap, puis à Toulon où on les a embarqués pour la Tunisie, et nous en sommes là de cette lamentable odyssée dont la France acte étonnée, effrayée, humiliée. Tout le reste n’est rien à côté de cette épreuve. Si on compare notre armée à ce qu’elle était, il y a quelques années à peine, on peut dire avec assurance que ce qui s’est passé aujourd’hui aurait été naguère encore impossible. Qui donc est responsable du changement ?

Le recrutement régional, tel qu’il est pratiqué depuis le général André, y est sans doute pour quelque chose, mais il n’est pas le seul, ni même le principal coupable. Une armée où le commandement serait respecté et obéi, n’éprouverait qu’à un faible degré les inconvéniens du recrutement régional : la nôtre les ressent au contraire dans leur plénitude. Plus on réduit la durée du service militaire, plus on