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devrait soustraire le soldat aux influences du dehors. On a fait le contraire ; on a laissé le soldat à service réduit dans le milieu civil où il vivait avant d’être sous les drapeaux et où il vivra après les avoir quittés, ce qui était le plus sûr moyen de réduire chez lui l’esprit militaire au minimum. Lourde faute sans doute : on en voit les conséquences lorsqu’on demande à ces soldats, régionaux plus que nationaux, de faire acte d’autorité, au nom de la loi et pour le maintien de l’ordre, dans un milieu social et familial dont ils partagent les idées, les sentimens, les intérêts, les passions, les préjugés, et qui se compose de leurs parens et de leurs amis. Comment attendre d’eux quelque fermeté ? Voilà ce qu’on a beaucoup répété, depuis quelques jours, au sujet des soldats du Midi, et il y a dans ces observations une part de vérité. Nous ferons remarquer, toutefois, qu’on n’avait rien demandé aux soldats du 17e de ligne lorsqu’ils sont partis d’Agde pour se rendre à Béziers : ils ont pris la résolution de passer à l’émeute sans attendre qu’on leur eût encore commandé de la réprimer. L’acte d’indiscipline a été tout à fait spontané. Nous voudrions croire que le recrutement régional est cause de tout ; il suffirait alors de le supprimer, ou d’en atténuer le fonctionnement pour que le mal fût guéri. Mais cette vue trop simple serait une vue fausse si on s’y enfermait ; elle donnerait le change sur le remède nécessaire, qui consiste à rendre aux officiers la confiance en eux-mêmes qu’ils ont perdue, parce qu’ils ne se sentent pas soutenus, et aux soldats le respect du commandement qu’ils ont perdu aussi, parce qu’ils savent qu’ils s’exposent à peu de chose en y manquant. Si on n’y fait pas rentrer, en haut et en bas, ce double sentiment, nous aurons une armée qui tournera de plus en plus à la garde nationale ou aux milices, formes militaires chères à M. Jaurès et à ses amis. Les événemens du Midi viennent de nous en faire sentir une sorte d’avant-goût. Les milices nous donneraient-elles une force respectable contre l’étranger ? Nous en doutons ; mais contre l’insurrection et l’émeute au dedans, nous sommes fixés. Les soldats d’Agde nous ont déjà montré les milices à l’œuvre ; ils nous ont édifiés sur ce qui serait leur manière d’opérer. On les mettrait d’un côté de la barricade, elles passeraient aussitôt de l’autre.

Il ne faut s’étonner de rien aujourd’hui, car tout arrive : les inventions les plus folles des romanciers et des faiseurs de mélodrames sont inférieures à ce que la réalité apporte d’imprévu. M. Clemenceau, dont la vie a pourtant été fertile en incidens de tous les genres, a dû être bien étonné lorsqu’un huissier de son ministère lui