l’agriculture n’avait pas, durant le même laps de temps, réalisé de hardis progrès, la plupart de nos terres françaises seraient aujourd’hui abandonnées en raison de leur incapacité à lutter avec celles des pays neufs. Ce qui s’est vu depuis cent ans s’est vu aussi depuis des siècles. Nos laboureurs, qui passent pour routiniers, qui, de fait, croient l’être, et que l’on regarde comme les plus timides de tous les hommes, sont au contraire de perpétuels novateurs, sans cesse dérangés dans leurs calculs par des événemens qu’ils n’ont pu prévoir et forcés sans cesse d’imaginer de nouveaux plans.
Chez nous, cet état de choses est aussi vieux que notre civilisation et il ne finira qu’avec elle. En Amérique, il commence. Comme les transformations agraires sont silencieuses, que les révolutions des champs se font à petit bruit, par petits coups, on a peine à retrouver la trace d’une forêt abolie, ou d’un carré de bruyères remplacé par un carré de choux ; mais le passé rural est plein des changemens de culture d’une même terre à travers les âges et des vicissitudes causées par des concurrences nouvelles. Les partis successifs que l’agriculture a su tirer du sol français, l’emploi qu’elle en a fait depuis des siècles, ont été des plus variables.
Elle a déboisé et ensuite reboisé, creusé des étangs pour les dessécher ensuite, substitué les céréales aux pâtures, puis la vigne aux céréales, puis la prairie à la vigne ou les cultures industrielles à la prairie. Le tout sous mille influences économiques, politiques ou fiscales. Et l’avenir nous réserve à coup sûr bien d’autres avatars, dont nous n’avons pas la moindre idée encore, de ces mottes de terre dont on a fait jusqu’ici du pain, des bûches, des gigots, de l’huile, de la soie, du papier, du sucre ; dont on a fait tant de choses qu’on ne fait plus, du moins au même endroit, dont on fait déjà tant de choses qu’on ne faisait pas il y a deux ou quatre cents ans.
Le cultivateur du vieux monde continuera à enfanter, dans la douleur, sous l’aiguillon de la nécessité, des inventions nouvelles ; déclarant à chaque progrès que celui-là est le dernier, qu’il ne faut plus compter en réaliser d’autres et réalisant tout de même de nouveaux progrès. Le cultivateur américain, né d’hier et dont l’histoire commence, va passer par les mêmes phases ; mais il est plus souple, étant plus pressé et plus ambitieux de gain. L’Européen, historiquement, est allé de