Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement les derniers progrès accomplis, j’ai tenu seulement à mettre en évidence le côté saillant de l’ « affaire agricole » en Amérique. Par la nature des choses, elle semblait devoir être pastorale et extensive ; par le caractère des individus, elle est devenue très vite scientifique et industrielle.

Le propre de la science agricole, en Europe, est de n’être généralement bien connue que des personnes étrangères à cette profession. Les principaux intéressés, fermiers, petits propriétaires et journaliers composent une classe assez fermée ; car ses membres essaiment dans les villes, mais se recrutent rarement parmi les citadins. L’atavisme, rattachement aux traditions paternelles, leur fait envisager avec méfiance des spéculations agronomiques où quelques hardis novateurs ont souvent sous leurs yeux trouvé la ruine. Or cette classe tient plus encore à ne pas se ruiner qu’à s’enrichir.

Il n’en va pas ainsi de l’Américain, natif ou importé. Eût-il été homme de charrue dans sa patrie primitive, il est avant tout spéculateur. Son exode même fut une spéculation ; il a le goût des aventures. Il n’existe point là-bas une « classe rurale, » mais simplement des gens qui sont prêts à faire pousser des concombres, comme à conduire des tramways ou à fonder des journaux, et qui s’adonnent par exemple à l’élevage du bétail ou à l’exploitation des arbres fruitiers, comme à toute autre profession ou à toute autre carrière.

Bien qu’il semble paradoxal de dire qu’une chose est mieux faite par celui qui. ne la connaît pas que par celui qui est né dans le métier et y fut initié dès son jeune âge, il est cependant vrai que ce nouveau venu dans la partie n’est imbu d’aucun préjugé et n’apporte à son entreprise aucune routine. C’est une page blanche où, seule, l’expérience personnelle écrira ses leçons. L’Américain des champs a sur l’Européen toute la supériorité d’une nouvelle usine sur une vieille. Il n’est pas gêné et attardé par un vieux matériel ; sur lui ne pèse aucun vieux capital à amortir. Il a par cela même plus de faculté d’adaptation. Sa science nationale est petite et de courte visée ; mais elle est très répandue, tout de suite accueillie et appliquée. Aussitôt convaincu, et il n’est pas long à convaincre quand on lui montre une piste avantageuse, il ne délibère pas et change aussitôt ses méthodes, ses outils, ses semences. C’est le secret de son enrichissement rapide.