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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/339

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Bonaparte consentit à être son représentant à la tête du bureau des cinq Académies. Ce fut ainsi, — détail piquant, — le président de l’Institut qui gagna la bataille de Marengo.

A la veille de la bataille, l’Institut tenait toujours son illustre président pour un philosophe : l’opinion « éclairée » partageait cette façon de voir. Il était dès lors plus facile à Bonaparte de traiter les cultes avec convenance et, au jour dit, de négocier avec Rome. L’Institut, qui au fond le désapprouvera en cette circonstance, en attendant le couvrait.

Ses ministres, hommes de la gauche, mais moins férus des principes que les savans, n’avaient garde de renier leur passé : il était encore leur force. Talleyrand était à leur droite : c’était assez dire que leur droite était à gauche, car il restait pour beaucoup un évêque apostat et un noble transfuge ; lui-même se contentait de pousser dans les places des anciens constituans du côté gauche, des feuillans de 89, des modérés de 91. Il entrait par là dans l’esprit du gouvernement qui était à l’opposé de la contre-révolution. Mais les plus compromis à gauche mettaient du tact, maintenant que telle était la consigne, dans l’application des « grands principes : » car Fouché savait fort bien ménager la droite tout en restant à gauche. Après une circulaire violente contre des émigrés, il leur accordait sous main les moyens de rentrer et, craignant l’amnistie en masse des proscrits, la « distillait. » Ses alentours n’étaient point exclusivement révolutionnaires : son secrétaire, du Villiers du Terrage, détestait au fond les jacobins. Lucien, — tout Brutus qu’il eût été, — était plus que personne désireux de faire un César et, pour cela, d’appeler les élémens de droite à fortifier, sans y adhérer trop bruyamment, le gouvernement de gauche. Tous, quel que fût leur passé, sous l’action du Consul et par une rare intelligence de la situation, ouvraient la porte à quiconque venait, sans arrière-pensée, s’associer à l’œuvre de réconciliation. Gouvernement de gauche, soit, « mais de gauche ouverte, généreuse, largement accueillante. »

Chef d’un gouvernement de gauche, Bonaparte était en outre au centre d’un pays qu’une réaction trop subite ou trop forte pouvait précipiter derechef dans un abîme de maux. Car la France était une malade qu’il fallait amener sans secousse et