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Hélas ! nous ne connaissons, pour ainsi dire, rien de la vie de Corrège ni de sa personne. Vasari avoue qu’il n’a point réussi « à découvrir son portrait, » malgré « toute sa diligence à le rechercher ; » ajoutant que « jamais l’on n’a fait aucun portrait de Corrège, parce que celui-ci a toujours vécu très modestement. » Toutefois, une tradition veut que le portrait du maître existe, et que ce soient les traits de Corrège que nous montre, à la cathédrale de Parme, l’une des figures d’un tableau de Lattanzio Gambara : auquel cas nous aurions là un renseignement biographique d’un prix inestimable, car on ne peut pas imaginer une figure plus expressive, et d’une beauté plus touchante. Sous le vaste front dégarni, toutes les lignes profondément creusées du visage traduisent une âme qu’une longue habitude du rêve a détachée du monde, et qui ne trouve plus désormais de joies ni de souffrances qu’au-delà des désirs habituels de notre humanité. Un visage qui pourrait être celui d’un mystique chrétien ou d’un philosophe, mais qui peut bien, aussi, être celui d’un poète. Et ce qu’il nous apprend de Corrège ne diffère pas trop, en somme, de ce que nous en apprend l’honnête Vasari, d’après le récit que vient de lui faire, à Modène, « le docteur Francesco Grillenzoni, grand ami du peintre : » « Cet Antoine de Corrège était d’un caractère très timide, et, au détriment extrême de son propre bien-être, il s’est constamment épuisé dans l’exercice de son art, pour soutenir la famille qui dépendait de lui ; et, encore qu’il fût doué d’une parfaite bonté naturelle, toujours il s’est tourmenté, plus qu’il n’aurait dû, à résister au poids de ces passions qui ont coutume, d’affecter les hommes. Dans son art, il était d’humeur très mélancolique, particulièrement sujet à souffrir des peines de cet art, et avec une ardeur extraordinaire pour en chercher et en affronter les difficultés : ainsi qu’en font foi, à la cathédrale de Parme, une immense multitude de figures peintes à fresque, et traitées en raccourci, pour être vues d’en bas, avec une habileté stupéfiante. » Ou bien encore, quelques pages plus loin : « En vérité, cet Antoine de Corrège ne parvint jamais à s’estimer soi-même, ni à se persuader qu’il possédait son art aussi parfaitement qu’il l’aurait voulu : tant il en reconnaissait les difficultés. Pour le reste, se contentant de peu, et menant la vie d’un excellent chrétien. » Sur tout cela, le portrait de la cathédrale de Parme et l’œuvre entière de Corrège confirment pleinement le témoignage de Vasari ; et lorsque ensuite le biographe arétin nous raconte que Corrège est mort pour avoir voulu porter sur son dos, de Parme à Correggio, une somme de soixante écus en petite monnaie, il a soin de nous prévenir que ce