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biographes affirment que Vasari s’est trompé, là encore, et que les fresques de Corrège, surtout à l’église Saint-Jean-l’Ëvangéliste, attestent une connaissance certaine des grandes décorations des Stances du Vatican et de la Chapelle Sixtine. Cependant Vasari, au moment où il a écrit sa Vie de Corrège, revenait de Modène, où il s’était longuement entretenu avec un ami du maître défunt : rien ne nous défend de supposer que cet ami de Corrège lui ait dit la vérité, et que la connaissance des fresques de Raphaël qui se manifeste à nous dans la coupole de Saint-Jean-l’Évangéliste ait été acquise, simplement, par l’intermédiaire de l’une des innombrables copies, dessinées ou peintes, que tout artiste se croyait alors tenu de rapporter d’un voyage à Rome[1]. Mais, en tout cas, il n’y a pas un seul des biographes de Corrège qui aille jusqu’à prétendre que celui-ci ait emprunté aux fresques romaines le moindre élément de ce qui fait tout le charme et toute la grandeur de son art. Quels que soient les maîtres qu’il a pu connaître, étudier, ou même imiter, Corrège, pour le fond de son œuvre, ne doit rien à personne ; toute sa vie, sous la modification, — d’ailleurs incessante, — de ses types et de ses procédés, il est resté le même homme, absolument le même, et ne tirant son génie que de son propre cœur : c’est une première conclusion qui se dégage du spectacle de son œuvre, l’assemblée, avec un soin extrême, dans l’ouvrage allemand. Et une seconde conclusion s’en dégage, non moins évidente, qui est celle-ci : que l’on perd son temps à se quereller sur les dispositions plus ou moins « païennes » de l’esprit d’un maître chez qui l’esprit ne comptait pour rien, et qui, toute sa vie, dans tous les sujets, n’a fait qu’épancher une inconsciente et mystérieuse musique qu’il portait en lui. « Païen, » nous aurons toujours peine à croire que l’ait été un homme dont nous savons que, en 1521, à près de trente ans, il a sollicité de faire partie du Tiers-Ordre bénédictin, et qu’ensuite, par testament, il a demandé de nombreuses messes pour le repos de son âme. Mais, en vérité, ce grand peintre n’a pas plus été un « païen » qu’il n’a été un « coloriste, » ni un « luministe, » ni rien de ce que ses commentateurs s’ingénient à vouloir découvrir en lui : il n’a été qu’un poète, irréfléchi et probablement très ignorant, mais hanté d’un rêve brûlant et voluptueux de beauté, au service duquel, de jour en jour, il créait librement de nouveaux moyens d’expression plastique.

On aimerait à savoir ce que fut, dans l’intimité de sa vie, cet homme dont l’œuvre vaut surtout par ce qu’il y a mis de son cœur.

  1. Comme je le dirai tout à l’heure, un autre contemporain de Corrège Ortenzio Landi, affirme également que le maître « n’a jamais vu Rome. »