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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/485

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qu’un intérêt rétrospectif. Nous avons été heureux d’entendre déclarer par M. Pichon que la situation s’était sensiblement améliorée entre le Maghzen et nous, et qu’elle avait une tendance à redevenir normale. Le Maghzen nous accorde enfin toutes les satisfactions que nous avons demandées, exigées, après l’abominable assassinat de Marakech. C’est assurément ce qu’il a de mieux à faire. Beaucoup de personnes se demandent si la politique que nous suivons sur la frontière algéro-marocaine est la plus profitable à nos intérêts. Elle consiste, on le sait, à associer notre autorité à celle du sultan dans des régions où cette dernière est très faible et où il nous serait facile de la rendre plus faible encore, sinon même de la détruire. Nous sommes parfaitement sincères dans notre politique de bonne entente avec le sultan ; mais nous ne voudrions pas en être dupes. Nous sommes rigoureusement fidèles aux engagemens que, d’accord avec les autres puissances, nous avons pris à Algésiras ; mais nous demandons la réciprocité. Le sultan commence-t-il à reconnaître que nous sommes dans notre droit ? Le Maghzen est-il disposé à nous en donner des preuves ? Alors les esprits qu’on a imprudemment surexcités se calmeront peu à peu dans l’empire chérifien, et tout le monde en profitera. Le progrès de la civilisation est à ce prix.

Le dernier incident qui s’est produit au Maroc montre à quel point ce progrès est difficile et lent. C’est une étrange aventure que celle de l’enlèvement et de la séquestration du caïd Mac Lean par Raissouli. Nous avions bien prévu et nous avions annoncé que si Raissouli n’était pas fait prisonnier ou tué lorsque le Maghzen s’est décidé à envoyer contre lui une mehalla, on entendrait encore parler de ses exploits. Cela est arrivé plus vite encore que nous ne l’avions cru, et dans des conditions moitié tragiques, moitié comiques, comme l’est le personnage lui-même. Le Maghzen, qui aurait pu l’abattre et s’en débarrasser à un certain moment, a eu la faiblesse de le ménager. Raissouli s’est sauvé, et il faut croire qu’il n’a pas tardé à redevenir dangereux, puisqu’on s’est mis à négocier avec lui. Négocier avec un pareil homme, lui donner le sentiment de son importance, lui envoyer des émissaires ? n’était-ce pas susciter son audace et le pousser à de nouveaux excès ? Bandit de sa profession, Raissouli a entraîné le négociateur du Maghzen dans un piège assez grossièrement tendu, et le négociateur y est tombé avec une ingénuité que nous n’aurions pas attendue de lui. Sir H. Mac Lean connaît, en effet, le Maroc mieux que personne : comment ne s’est-il pas défié de Raissouli ? Aujourd’hui, le mal est fait, le coup a réussi, le caïd est prisonnier, comme l’a été autrefois M.