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motif, enfin, pour donner le titre d’institutions libres à aucune des formes que la nation française, faite comme elle est, a données depuis cinq cents ans ou donnera jamais à ses gouvernemens. De l’anarchie tant qu’on voudra et du despotisme toujours : il s’agit seulement de savoir comment il est habillé, et je l’aime mieux en habit noir qu’en blouse, et beaucoup mieux en habit brodé qu’en habit noir. C’est cet habit noir qui nous a fait la jeunesse que nous avons.

Vous voyez que je suis de ceux qui méprisent, et c’est pour cela que je vous ai soumis mes protestations. Pardonnez-moi en faveur du respect et du dévouement que vous me savez pour vous.

Comte à DE GOBINEAU.


Tocqueville, le 14 janvier 1857.

Votre lettre du 29 novembre que j’ai reçue, il y a environ un mois, mon cher ami, nous a donné de véritables émotions. Quel horrible voyage ! Tous les miens ne sont que des jeux d’enfans à côté de celui-là. Si, en même temps que je recevais votre lettre, je n’en avais pas reçu une d’Avril, qui m’annonçait l’heureuse arrivée de Mme de Gobineau et de votre fille, j’avoue que votre lettre ne m’aurait point encore rassuré sur le sort de celle-ci. Je vous confesse que j’ai toutes les peines du monde à comprendre comment une considération de la nature de celle dont vous me parlez a pu vous décider à précipiter votre femme et votre fille dans les périls d’une pareille route, si connue par ses dangers et à moitié de laquelle il fallait que vous abandonniez les vôtres. J’admire la témérité de Mme de Gobineau, et je suis plein de joie et presque de surprise que cette témérité ait réussi. Maintenant je tiens Mlle Diane pour immortelle. Vos amis pourront vous dire avec quelle inquiétude je la voyais partir. Je vous avoue que, connaissant les effets produits d’ordinaire par l’Orient sur les voyageurs de son âge, j’avais peu d’espérance de revoir cette charmante enfant, et que l’image de la fille de M. de Lamartine assiégeait douloureusement mon imagination en vous faisant mes adieux. La voilà à l’abri de cet horrible danger. Dieu soit loué !

Vous avez pris bien sérieusement je ne sais quelle mauvaise plaisanterie qu’il paraît que je vous ai faite sur votre religion.