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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/554

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point je sois peu capable de juger). Ainsi donc, mon cher ami, je vous prie de m’envoyer sans le moindre retard ce qui est imprimé et ce qui s’imprime : vous êtes bien sûr d’avoir en moi un lecteur très avide d’apprendre quelque chose sur cet Orient que vous venez de parcourir.

J’ai frémi pour vous en voyant la position dans laquelle vous vous êtes trouvé. Dieu soit loué que cet orage se soit dissipé[1]. Mais quelle est, au fond, votre situation ? Vous savez qu’il n’y a pas d’ancien ministre qui ne conserve un grand faible pour son chef de cabinet. J’éprouve pour vous ce sentiment en plein. Et cependant, est-il bien vrai que j’ai été ministre ? Il y a des jours où j’en doute. Adieu, mon cher ami, présentez mes hommages à Mme de G…, et croyez à ma sincère amitié.

A. DE TOCQUEVILLE.


Château de Trye, 4 mars 1859.

Monsieur,

J’ai évidemment l’honneur d’être de tous vos amis celui qui vous inspire le moins de confiance et, sans reproche, ce devrait être tout le contraire, car il n’est aucun que vous ayez essayé, si constamment et si longtemps. Mais je n’en gémis qu’à moitié, me tenant pour ensorcelé depuis un an vis-à-vis de vous. Je ne peux pas sortir des apologies pour une cause ou pour l’autre. Je ne dirai donc rien que ceci : personne ne vous aime plus que moi, ni plus fidèlement, ni plus constamment ; le reste importe peu.

J’avais quelque idée de vous recommander un séjour en Égypte. Je suis sûr que votre santé s’en trouverait admirablement et c’est si facile, un voyage de cette espèce ! neuf jours ! Mais je sais toute la répugnance de Mme de Tocqueville pour la mer, et puisque vous êtes presque absolument bien, Dieu merci, il n’y a rien à faire de plus. Peut-être est-il bien nécessaire que vous continuiez courageusement quelque temps encore à ne pas travailler, au moins d’une manière fatigante ; c’est l’ennui qui pèse un peu dans une telle hygiène. Mais la santé vaut tous les prix dont on l’achète. Je suis pourtant bien avide de voir la suite de l’Ancien Régime et la Révolution. Je comprends que

  1. Il semble que, pendant son absence, des gens qui ne voulaient pas du bien à Gobineau, l’avaient donné pour un homme hostile au gouvernement.