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convictions pour mettre l’intelligence humaine en mouvement et, pour le quart d’heure, on ne croit rien fortement, on n’aime rien, on ne hait rien et on n’espère rien que de gagner à la Bourse. Mais la France n’a pas eu, jusqu’à présent, un tempérament qui lui permît de rester aussi longtemps affaissée dans le seul goût du bien-être, et j’espère toujours que le même mouvement, s’il doit venir, qui la relèverait, ranimerait sa vie littéraire.

Il me serait bien difficile de dire pourquoi j’ai été conduit et comment à vous conter tout cela. C’est une vraie causerie à bride abattue. Ne répondez point puisque bientôt nous allons nous voir après cette longue absence et parler de tout cela et de mille autres choses. Mille amitiés de cœur.

A. DE TOCQUEVILLE.


Cannes (Var), le 28 février 1859.

Mon cher ami, si en effet je vous avais dit qu’il ne fallait pas m’écrire sans que je vous eusse indiqué mon adresse, je suis au plus haut degré dans mon tort. Mais en voici la cause. En arrivant ici, j’ai trouvé que Cannes était une espèce de village où la demeure de chacun était connue du public. Partant de là, je n’ai pas imaginé que mes amis eussent autre chose à faire en m’écrivant que de mettre pour adresse : à Cannes, Var. Je suis, du reste, bien content de l’explication que vous me donnez de votre silence ; car je m’en plaignais amèrement, in petto, et je me disais que vous étiez de tous mes amis le seul qui n’ait montré aucune sollicitude pour moi. J’ai cependant été plusieurs fois dans un état de nature à la faire naître. D’abord très bien durant les deux premiers mois. Puis, survient au jour de l’an, pour étrennes, deux ou trois maladies nouvelles plus douloureuses que tout ce que j’avais ressenti jusque-là. Ceci a duré un mois. Février a heureusement réparé les torts de janvier. J’ai repris mes forces. La maladie des bronches, qui m’a forcé de venir ici, semble marcher vers une guérison assez rapide, et je commence enfin à me sentir renaître.

Je veux tout ce que vous avez écrit, et le livre sur le voyage[1] et celui sur les langues cunéiformes[2] (quoique sur ce dernier

  1. Trois ans en Asie. Paris, Hachette, 1859.
  2. Lecture des textes cunéiformes. Firmin-Didot, 1858.