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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/556

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toutes vos forces. C’est pourquoi, je vous en prie, ménagez-vous encore pour n’avoir pas l’ennui d’un autre hiver en quarantaine. Ceci est aussi bien nécessaire.

Mon voyage paraîtra en juin ou en juillet. Je souhaite qu’il réussisse aussi bien près de vous qu’il paraît réussir près du libraire. D’abord, celui-ci voulait faire une édition in-12. Maintenant, il veut deux éditions, l’une in-12, l’autre in-8o, il a encore l’idée d’y mettre des gravures. Vous voyez que je suis dans les honneurs.

Comte DE G.


Nous avons vu, par la lecture des dernières lettres de Tocqueville, que Gobineau avait, par la suite, évolué de manière à être, pour Tocqueville, moitié enfant chéri, moitié enfant terrible. De graves dissentimens s’étaient élevés à propos de plusieurs questions vitales, tant du domaine de la politique que de celui de l’histoire et de la philosophie, entre le jeune homme et son maître. A l’improviste, ils se voyaient en présence l’un de l’autre comme des antagonistes. Cependant, des esprits comme les leurs ne sauraient devenir étrangers l’un à l’autre. Et si le lecteur de cette correspondance ne peut se défendre d’un respect sincère pour la profondeur de conviction, la hauteur de pensée et même la noblesse d’expression avec laquelle chacun défend son point de vue, il admirera plus encore peut-être la loyauté parfaite qui leur fait conserver, à travers des controverses parfois si aiguës, toute leur estime et même toute leur affection l’un pour l’autre.

Tocqueville l’a dit très bien lui-même : « En fait de sentimens élevés et délicats, nous sommes et serons toujours de la même secte. » Dans cette parole, nous voyons non seulement la devise de leur amitié, mais l’idée mère de toutes leurs relations, la raison d’être de leur rapprochement.

Ce rapprochement a eu lieu à la fin comme au commencement, comme le prouvent symboliquement les dernières paroles de Tocqueville, et plus encore, l’émouvant billet que Gobineau écrivit, sous l’impression douloureuse que lui causa la nouvelle de la mort de son maître chéri, à la veuve de celui-ci.


Sydney (Nouvelle-Ecosse), 27 mai 1859.

Chère madame,

J’ai appris ici le malheur qui vous a frappée, et avec vous toutes les personnes qui vous sont attachées. Vous savez si je suis de ce nombre et depuis combien d’années je suis dévoué de cœur à celui qui n’est plus. Peu de ses amis se sont trouvés mêlés à sa vie d’aussi près que je l’ai été et ont eu autant d’occasions de connaître la grandeur de son esprit, l’élévation de son