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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/564

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pancarte imprimée depuis nombre d’années, toute déchirée, tombant en lambeaux et où souvent des commis ont eu l’impudence d’ajouter à la main et de leur autorité une multitude d’articles. » Le contribuable doit payer ce qui lui est réclamé, sans justification, ni contrôle, ni reçu. « Le code de la ferme générale est immense, observe Malesherbes, et n’est recueilli nulle part. C’est une science occulte. Il faut que le particulier s’en rapporte au commis même, son adversaire et son persécuteur. »

« Adversaire et persécuteur… » Malesherbes a mis le doigt sur la plaie. Au contraire de ce qui se passe de nos jours, où le douanier, qui lève un droit quelconque, se montre naturellement équitable, parce qu’il n’a pas d’intérêt particulier dans la perception, sous le régime des fermes, depuis les quarante financiers qui se trouvaient au sommet, jusqu’aux plus modestes employés, chacun avait un intérêt personnel et direct à faire produire aux impôts le plus possible.

D’aventure quelque contribuable, tondu de trop près, s’avisait-il de s’engager dans les dédales d’un procès : les fermiers généraux avaient un conseil d’avocats qui s’entendaient à l’y faire circuler indéfiniment. « A-t-on fait la liste, écrit Darigrand, de tous ceux que ces procès ont ruinés ? »

Aussi les fermiers généraux et leurs suppôts, — c’est, l’expression consacrée, — sont-ils devenus pour le peuple des tyrans redoutés.

Par un abominable vice d’organisation, le produit des amendes, encourues par ceux qui avaient enfreint les édits bursaux, et les effets confisqués étaient distribués, pour un tiers aux fermiers généraux, pour un tiers aux chefs des commis et des employés qui avaient constaté le délit, le derniers tiers à ces commis eux-mêmes. Or, devant les tribunaux compétens, un procès-verbal signé de deux commis faisait la preuve, sans contradiction possible. Ces procès-verbaux, qui causaient des ruines, enrichissaient ceux qui les avaient dressés. « A la fin de l’année, écrit un contemporain, les fermiers généraux et leurs stipendiés partagent entre eux les dépouilles de mille familles qu’eux, ou leurs adhérens, ont légalement ou illégalement dépouillées. » Helvétius, fermier général, refusa l’argent provenant de ces confiscations, mais Helvétius était un philosophe, un original.

L’intendant de Flandre écrivait en 1740 : « La quantité des pauvres dépasse celle des gens qui peuvent vivre sans mendier…