Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

généraux, le plus impopulaire était celui sur le sel, l’odieuse gabelle. Dans les pays de grande gabelle, les taxes sur le sel en avaient élevé le prix à un taux qui représentait dix fois celui où nous le payons aujourd’hui (de vingt à trente fois si l’on tient compte de la valeur relative de l’argent). Dans d’autres provinces, cet impôt était considérablement réduit, et quelques provinces enfin en étaient entièrement affranchies. De cette diversité était née la contrebande appelée « faux-saunage, » qui consistait à introduire frauduleusement le sel des pays francs dans les pays de gabelle. Une surveillance effective, dans l’enchevêtrement de ces frontières intérieures, était presque impossible. De là l’obligation, où l’on avait été amené, de contraindre chaque habitant d’acheter annuellement au moins sept livres de sel dans les greniers de la Ferme. Une famille devait se fournir d’autant de fois sept livres de sel qu’elle comptait de membres, y compris les enfans. Par ce moyen, les fermiers généraux étaient assurés que le premier et le plus important approvisionnement de sel nécessaire aux ménages serait pris dans leurs greniers, en dépit de toute contrebande.

Les droits de gabelle étaient perçus avec une extrême rigueur. « En Normandie, dit le Parlement de Rouen, chaque jour voit saisir, vendre, exécuter, pour n’avoir pas acheté de sel, des malheureux qui n’ont pas de pain. »

Les sept livres de sel prises aux greniers de la Ferme devaient servir directement et exclusivement à l’usage personnel du « titulaire. » C’était le sel pour « pot et salière. » Que si un villageois en avait épargné quelques onces pour parfaire la salaison de son porc, celui-ci était confisqué, et le bonhomme condamné à l’amende. Car, pour le porc, il fallait s’en aller au grenier à sel, faire une autre déclaration, acheter d’autre sel, rapporter un autre bulletin. « Je puis citer, écrit Letronne, deux sœurs qui demeuraient à une heure d’une ville où le grenier n’ouvre que le samedi. Leur provision de sel était finie. Pour passer trois ou quatre jours jusqu’au samedi, elles firent bouillir un reste de saumure, dont elles tirèrent quelques onces de sel. Visite et procès-verbal des commis. A force d’amis et de protection, il ne leur en a coûté que quarante-huit livres. »

Au bord de la mer, les commis des Fermes réunissaient les paysans pour leur faire submerger le sel que les Ilots avaient déposé.