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Procès-verbaux, saisies, condamnations, amendes, peines afflictives, pleuvaient dru comme grêle, et les édits défendaient aux juges de modérer les peines que les ordonnances avaient fixées.

A Darigrand, ancien employé des gabelles, nous devons encore ce tableau : « Dans ce village, une famille toute en larmes défend contre des huissiers les haillons qui la couvrent ; déjà une voiture est chargée d’une vingtaine de gerbes de blé, glanées par les enfans et dues à la charité ; elles étaient destinées à nourrir ces infortunés le mois de décembre. Ces malheureux n’ont pas été assez opulens pour saler leur soupe et l’on a décerné contre eux une contrainte pour la quantité qu’on a jugé qu’ils auraient dû consommer de sel. Il se fait des milliers d’exécutions pareilles dans le royaume, et à peine les meubles vendus suffisent-ils pour payer les frais. »

En 1787, le Comte de Provence, celui qui fut plus tard Louis XVIII, disait au sein de l’Assemblée des notables : « Les effets de cet impôt sont si effrayans qu’il n’est pas de bon citoyen qui ne voulût contribuer, fût-ce d’une partie de son sang, à l’abolition d’un pareil régime. »

Les sentimens de haine, qui se semèrent ainsi, développèrent la contrebande.

Sur les frontières, particulièrement en Dauphiné et en Savoie, se forma une population dont la seule industrie consistait à introduire dans le royaume de France, en fraudant les droits exigés par la Ferme, les articles prohibés, profession qui se transmettait héréditairement dans les familles. Les enfans y étaient préparés sous les yeux de leurs parens. On ne leur enseignait pas d’autre métier, métier abominable, aux yeux des fermiers généraux, mais le peuple lui témoignait de l’indulgence.

— Les contrebandiers lèsent les droits du Roi, disait la maltôte.

— Que non, répondaient les bonnes gens, ils ne lèsent que les intérêts des fermiers généraux.

Pour désigner les contrebandiers, ou se servait d’appellations diverses. Outre le nom que nous leur donnons, on leur appliquait celui de « margandiers. » On les nommait aussi « camelotiers. » Quand il ne s’agissait que de menue contrebande qui se faisait à des d’homme, on les appelait « porte-cols. »