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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/57

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Je jouis ici de tout le bien-être qu’on peut trouver loin de son pays dans les circonstances où nous sommes. L’esprit est quelquefois agité et inquiet, mais le corps semble faire chaque jour des progrès nouveaux vers un l’établissement complet. Toutes mes forces sont revenues et à peine puis-je apercevoir la trace de la maladie si grave que j’ai soufferte. Je vis dans une grande solitude, travaillant un peu, me promenant beaucoup et je me tiendrais pour aussi heureux que je puisse être, si je n’étais pas excité et troublé, de temps à autre, par les bruits de Paris qui arrivent jusqu’à moi. La raison me dit que de toute manière il vaut mieux que je sois ici, mais l’instinct me pousse dans la bataille, et l’instinct, c’est plus de la moitié de l’homme. S’il ne fait pas toujours faire les sottises que la raison défend, il rend fort désagréables les actions sages qu’elle commande. Je compte revenir en France au mois d’avril et, si j’y retourne réellement guéri comme je l’espère, je n’aurai pas perdu ici mon temps.

Mille amitiés de cœur.

Ecrivez-moi à Naples, bureau restant.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE.


Sorrente, le 28 mars 1851.

Votre lettre du 21 février, mon cher ami, m’a causé une véritable joie et, en même temps, une sensible peine. La peine est venue de ce que vous nous dites de l’accident qui est survenu dans la santé de Mme de Gobineau. J’espère qu’en ce moment et depuis longtemps cette santé qui vous est, avec raison, si précieuse est rétablie. Quant au fond du malheur, il est réparable, et vous le réparerez sans doute avant qu’il soit bien longtemps. Ce qui m’a réjoui dans votre lettre est l’annonce de votre croix. Quoique je n’attache pas, en général, grande importance à ces sortes d’honneurs, dans les circonstances où vous étiez il était très désirable de l’obtenir. J’y tenais infiniment pour vous et je sais particulièrement gré à M. Brénier de ce qu’il a fait dans la circonstance. Vous voilà, Dieu merci, en bonne voie et j’espère que vous marcherez vite dans la carrière qui s’ouvre si bien pour vous. Vous savez si mes vœux vous y suivront.

Je compte quitter ce pays-ci dans quinze jours et retourner directement par mer à Marseille. Mon congé expire le 1er mai et j’espère bien être retourné à Paris avant cette époque. Quand