portait du pain à San Antonio, un de ses mulets dégringole encore au fond d’un précipice.
Nous ne connaissons l’itinéraire et les faits et gestes de Mandrin, à cette époque de sa vie, que par la mort de ses mulets, dont il fut obligé dans la suite de donner le détail.
En somme, le jeune homme faisait là vaillamment son métier. Il se montrait à la hauteur de la tâche qu’il avait entreprise, et, malgré les pertes en mulets qu’il avait faites, on peut supposer qu’il eût finalement obtenu les bénéfices qu’il était en droit d’espérer, lorsque se produisit brusquement un événement fatal pour lui, quelque heureux qu’il fût d’ailleurs : la conclusion de la paix d’Aix-la-Chapelle. Le maréchal de Belle-Isle licencia son armée. C’est à peine si Mandrin avait pu faire travailler sa « brigade » pendant quelques semaines. Force lui fut de se remettre en route avec sa troupe de mulets décimée. Il partit, le 19 juillet, pour regagner le Dauphiné, par le col de Tournon et Draguignan. Une épidémie, qui s’était mise sur ses bêtes, venait encore de lui en faire perdre une demi-douzaine. Le 11 juillet, il avait dû les faire jeter à la mer. En chemin, les mulets se trouvèrent harassés ; quelques-uns tombèrent malades. Pour ne pas les perdre, le jeune maquignon fut obligé d’en vendre quarante-six, dans les plus mauvaises conditions. Quand il fut de retour à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, il ne lui restait que seize mulets, sur les cent moins trois qu’il avait emmenés.
Il adressa une réclamation aux fermiers généraux qui avaient soumissionné les approvisionnemens de l’armée. Toute indemnité lui fut refusée. Il ne parvint même pas à se faire payer intégralement les travaux de transport qu’il avait effectués. Aussi bien, les nombreuses contestations qui résultèrent de la fourniture des vivres à l’armée d’Italie, de 1741 à 1748, n’étaient pas encore réglées trente ans après, comme en témoigne un arrêt du Conseil du 29 décembre 1779.
Au lieu que son initiative et son travail eussent rétabli les affaires de sa famille, c’était la débâcle. Dans ce moment, sa tête chaude et portée aux résolutions extrêmes s’exalte outre mesure ; la colère et la haine lèvent en lui ; il ne connaît plus que le désir de tirer vengeance de cette administration qui lui a refusé tout recours et l’a ruiné avec tous les siens.
Que l’affaire des mules ait été la cause déterminante qui fit de Mandrin un révolté, ce n’est pas ici une hypothèse. Le fait