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produit des institutions analogues, — s’il est permis, quand il s’agit de flibuste et de contrebande, d’employer ce mot si grave « institutions. »

Comme les flibustiers, les contrebandiers se divisaient en « chefs, » en « valets » ou « domestiques » (les flibustiers nommaient ceux-ci des engagés), et en « journaliers. » Les chefs étaient ceux qui avaient les ressources nécessaires pour acheter des chevaux, des armes, les marchandises de contrebande et pour gager des domestiques et des journaliers (ces derniers étaient les auxiliaires loués pour un court espace de temps et pour une besogne déterminée).

Chaque chef commandait donc une petite troupe où tout lui appartenait en propre, valets, chevaux, armes et marchandises.

Au début de chaque campagne, les différens chefs se réunissaient et élisaient l’un d’entre eux pour capitaine. Du jour où Mandrin fut entré dans la contrebande, leur choix tomba toujours sur lui, ce qui lui valut le titre que lui donnent les gazettes du temps, de « capitaine général des contrebandiers. » Une fois nommé, le « capitaine » avait une autorité absolue sur tous les hommes de sa troupe, y compris les chefs. Un conseil, sorte de tribunal, ne l’assistait que pour juger l’un ou l’autre des compagnons en cas de délit grave. Seul le capitaine décidait du plan de campagne ainsi que des différens marchés à conclure pour l’écoulement de la contrebande ; seul il fixait la marche à suivre et tous les détails de l’exécution. Et il ne communiquait ses projets à qui que ce fût, pas même au plus important des chefs qui l’accompagnaient, — tant les compagnons craignaient une indiscrétion, voire une trahison, qui eût compromis le succès de l’expédition et les eût fait tomber entre les mains du bourreau. Et il en avait été de même au cours des expéditions héroïques, — et fantastiques, — dirigées sur les côtes du Nouveau Monde par les flibustiers de la Tortue, au XVIIe siècle.

Les « Mandrins, » pour leur donner le nom qui ne va pas tarder à retentir dans la France entière, firent leur première apparition le 2 janvier 1754. Les brigadiers des Fermes, établis en Chartreuse, furent subitement attaqués par quelques contrebandiers qui tombèrent sur leur poste, les dépouillèrent de