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subdélégué de Vabre, à son collègue de Lodève. Les contrebandiers trouvèrent à Millau le meilleur accueil. Pour amuser la population, Mandrin y fit faire l’exercice à ses hommes, qui se mirent en ligne sur la place, et tournèrent, virèrent, pivotèrent, à l’émerveillement des badauds. Sensibles à cette faveur, les habitans de Millau achetèrent aux compagnons pour plus de 2 000 écus de tabac et d’indiennes.

Le 23 juin, les Mandrins passèrent par Saint-Rome-du-Tarn. Il arriva que l’un d’eux y fut insulté par un ivrogne et se mit en demeure d’en tirer vengeance. L’ivrogne se réfugia dans la première maison venue. Le contrebandier se jette à sa poursuite, enfonce la porte, rencontre de la résistance, tire un coup de feu : un corps tombe. C’était une jeune femme et qui, pour un plus grand malheur, se trouvait enceinte. Mandrin assembla le Conseil qui réglait les différends au sein de sa troupe, en manière de tribunal. Le contrebandier qui avait tué la femme fut acquitté, car il n’avait pas commis ce meurtre de propos délibéré, mais il lui fallut donner vingt-deux livres pour les frais d’enterrement.

Cet assassinat a été reproché très vivement à Louis Mandrin par ses divers biographes. Non seulement il en était innocent, mais, comme on voit, il en a traduit l’auteur devant un tribunal qui, pour des contrebandiers, était la juridiction compétente.

Mandrin recrutait ses hommes avec soin. Il écartait les malfaiteurs et les voleurs. Ses premiers adhérens furent pour la plupart des « pays, » originaires de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, de Saint-Pierre-de-Bressieux, de la Côte-Saint-André, puis de la Novalaise en Savoie. Dans les archives de Me La Bonnardière, notaire au Pont-de-Beauvoisin, on trouve un certain nombre de testamens faits par des « Mandrins. » Citons celui d’Antoine Josseaud, que ses camarades nommaient « l’Associé, » ceux de Dodelin, de Laforest, de Paccard, de Mathieu Pradel de Domessin. Ils sont qualifiés d’« honorables ; » quelques-uns d’entre eux sont décorés du titre de « bourgeois, » et il n’en est pas un qui ne fasse des dons pieux aux églises.

Voyant l’extension que prenait si rapidement le commerce de contrebande, sous l’active impulsion de Louis Mandrin, et la baisse qui en résultait pour leurs recettes buralistes, les fermiers généraux firent remettre en vigueur les édits qui interdisaient aux particuliers, sous les peines les plus sévères, d’acheter quoi que ce fût aux margandiers. Ces édits furent lus à nouveau,