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contrebande, tabac, flanelles, indiennes, mousselines, horlogerie de Genève, poudre des princes, le tout de très bonne qualité et cédé à un prix sensiblement inférieur à celui que les habitans avaient coutume de payer.

Mandrin établissait son camp dans de fortes positions, sur les hauteurs, où il faisait étaler ses marchandises ; puis, les habitans des environs recevaient l’avis que de belles et bonnes occasions les attendaient auprès des brigands. Et le débit s’en faisait le plus régulièrement du monde, sous la protection des baïonnettes contrebandières.

Les bourgeoises cossues, les soubrettes coquettes et les fermières endimanchées, pittoresques en leurs coiffes blanches, nouées de rubans de couleur, les dames même et les demoiselles de château, venaient sans crainte profiter des « occasions. » Aussi bien, Mandrin, beau garçon, bon garçon, bien mis et de « belle humeur, » qui, du jour où il fut devenu chef de bande, affecta systématiquement une extrême politesse, n’avait rien pour les effaroucher. Et les employés des Fermes contemplaient de loin, avec un ébahissement comique, le spectacle qui leur était donné. Mandrin prit pour devise : « S’enrichir en faisant plaisir au public. » Il y réussit.

Avec ses hommes et ses marchandises, Mandrin se transportait d’un point à un autre avec une rapidité déconcertante. La promptitude de ses décisions, l’agilité qu’il apportait dans ses marches et contremarches, en ces premiers temps où l’on n’y était pas encore habitué, jetaient les autorités dans l’ahurissement. Et c’est ainsi que, du moment où Mandrin parut sur la scène publique, on crut le voir partout à la fois.

L’intendant du Dauphiné en écrit le 17 juin 1754 :

« L’audace des contrebandiers se porte aux derniers excès. Non contens d’introduire, à main armée, dans le royaume, des marchandises prohibées, ils attaquent les bureaux des Fermes, ils intimident les employés, ils entreprennent d’enlever aux collecteurs les deniers de leur recette… Que reste-t-il à ces brigands que de faire contribuer les communautés ? »

Mandrin déroute toute poursuite : il a la rapidité de la lumière. Le voici en Rouergue, où il entre par la vallée du Tarn. Ses marchandises sont étalées le 22 juin à Millau et débitées sur la place du marché, « plus publiquement que l’on ne vend les aiguillettes et les chapelets, » comme l’écrit M. de Nayrac,