monnaie d’argent et de billon, qui était d’un transport difficile, contre des louis d’or, Mandrin et ses hommes quittèrent Rodez par le chemin de Rignac.
« Tout cela me vient de bon lieu, conclut le subdélégué de Vabre, en s’adressant à son collègue de Lodève. Vous aurez de la peine à le croire. Les gens qui l’ont vu ne peuvent encore se le persuader. »
Rignac devait être le point extrême de cette première campagne. Conformément à l’usage des contrebandiers, Mandrin disloqua alors sa troupe. Etant arrivés au but de l’expédition, toutes leurs marchandises étant vendues, les différens « chefs » remettaient leurs armes à des valets de confiance, avec ordre de les faire rentrer en Savoie où ils devaient les retrouver à des endroits déterminés. Ils congédiaient leurs « journaliers. » Ils répartissaient entre eux les bénéfices de la campagne, partageant « à bon compagnon, bon lot, » comme disaient les flibustiers, réserve faite d’une certaine somme destinée à rétribuer les capitalistes, — c’étaient souvent des personnages d’importance, — qui avaient mis de l’argent dans l’affaire. Puis, après s’être fixé de commun accord un point de rendez-vous en Savoie ou en Suisse, c’est-à-dire en pays étranger, où l’on devait être en sécurité, les contrebandiers regagnaient la frontière par des chemins divers, isolément, comme les plus paisibles des sujets du Roi.
Mandrin, comme les autres, prend un chemin qui le ramènera en Savoie. Mais il ne s’y rendra pas directement. Pour couronner cette première campagne, qui n’a été marquée que par des succès, il veut repasser par Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, pour y accomplir l’acte de vengeance, un devoir à ses yeux, qui lui est imposé par la mémoire de son frère Pierre, s’il est vrai que, d’autre part, il refaisait par son activité et par sa vaillance, et aux dépens des fermiers généraux, la fortune de sa famille que les fermiers généraux avaient ruinée.
Mandrin arriva donc seul, le 9 juillet 1754, à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Il avait veillé à ce que personne n’en fût averti, afin d’être certain de rencontrer l’employé des Fermes, Jacques-Sigismond Moret, qui avait livré son frère Pierre au bourreau.
Moret se promenait sur la place de l’église avec l’un de ses enfans âgé de dix-huit mois, quand, tout à coup, il vit se dresser devant lui la silhouette redoutée de Louis Mandrin. Celui-ci ô. tait seul. Il tenait en main sa carabine. Le malheureux employé